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mercredi 11 juin 2025

Celeste : Anima Animus

Depuis le réveil de Celeste en 2016, Ciro Perrino enchaîne les sorties d'albums à un rythme soutenu, qu'on en juge : Il risveglio del principe en 2019, Il principe del regno perduto en 2020, Celeste with Celestial Symphony Orchestra en 2022 et à peine un an après, Echi di un futuro passato en 2024, cet Anima Animus. Il est vrai que Ciro est entouré d'une équipe solide de musiciens tous fidèles à leur poste depuis la renaissance du groupe, sur lesquels il peut compter. Il est également avéré que l'ami Ciro fait preuve d'une créativité prolifique. Pour preuve ce nouvel opus intitulé Anima Animus. Un titre qui fait évidemment référence à la théorie développée par Carl Gustav Jung notamment dans Types psychologiques. Il tente, dans ce livre, d'étudier la personnalité humaine (définitions et interactions) en se basant sur des identifications de fonctions psychiques, d'attitudes et de concepts sexués (anima et animus donc), la transposition la plus pertinente restant sûrement celle qui est relative à la Persona. Tout cela non pas pour étaler ma science mais bien pour éclairer le propos musical de Ciro Perrino qui, à l'évidence, a voulu exposer en un peu plus de 60 minutes de belle musique sa vision de la pensée jungienne. Comme l'affirmait justement Jung : "Il n’y a pas de création sans ombre et sans le côté obscur des choses".
Normalement à ce point de ma chronique, j'ai sûrement perdu quelques lecteurs. Alors, pour que tout le monde recolle au peloton, on va parler musique et uniquement musique ! Et croyez-moi, cet album le mérite. Le titre d'ouverture, "Anima animus", s'impose d'emblée comme une très belle composition progressive assimilable à un prélude relativement libre dans sa forme tout en étant rigoureux dans son contenu. Après ce premier morceau épatant, l'album prend une tournure un peu différente avec le très jazzy "Roots and leaves" propulsé par un irrésistible groove, hanté par un Mellotron et illuminé de longs chorus funky de flûte et de saxo. Cet incroyable titre semble tout naturellement ouvrir pour "Cosmic Carnival" qui, tout en gardant une forte tonalité jazzy, a été pensé sur une trame rythmique relativement complexe nécessitant l'intervention de nombreuses percussions. Il y a d'ailleurs bien un air de carnaval qui émane de ce morceau ou plus exactement une réminiscence de déambulation d'un orchestre de rue comme on en entend si souvent à la Nouvelle Orléans, impression encore renforcée par les ponctuations régulières de saxophones. A côté, "De Rerum Natura" se révèle beaucoup plus calme, à la frontière d'un romantisme naturaliste. Plusieurs instruments à vent personnifiant à tour de rôle des êtres vivants de la faune et de la flore. Ainsi va la nature des choses tentait d'expliquer Lucrèce en son temps. Le décors est ainsi prêt pour accueillir Ines Aliprandi dont les vocalises vont enchanter tour à tour "Lilith" puis "El Mundo Perdido", ce dernier morceau oscillant entre New Age, World music et résonances ethniques. Tout le monde se détend le temps du jazzy cool "Secret Crime" émaillé du malicieux chant en doo-wop d'Ines. Difficile de résister à l'envie de bouger en rythme sur cette très longue parenthèse décalée mais à la vibration régénérante.
On comprend facilement que Ciro ait gardé le morceau le plus symphonique et le plus majestueux pour la fin. "Moon and Cloud Dancing" est une très belle suite assimilable à de la prog pastorale gorgée de nombreux instruments à vent (bois et cuivre) mais aussi de piano et de guitare classique, remarquablement orchestrés. Il est bon de noter la très grande habileté de Ciro qui réussit à tenir l'intérêt pendant 12 minutes grâce à des enchaînements parfaitement naturels de performances instrumentales et vocales avec un prime un joli petit final d'accord de piano plaqué en sustain.

Pour ce cinquième épisode du Celeste du XXIème siècle, son démiurge, Ciro Perrino, démontre qu'il reste sur une trajectoire gagnante que l'on pourrait très simplement justifiée par l'inspiration, ce qui serait déjà bien et qui est d' ailleurs le cas. Mais je vois trois autres raisons qui font la différence :
- d'abord, une évidente qualité dans l'écriture musicale, autrement dit un vrai travail de compositeur.
- ensuite, une couleur différente d'un album à l'autre avec une volonté de ne pas reproduire les mêmes schémas et le même type de musique à chaque fois (vous pouvez me faire confiance, je viens de réécouter tous les CD à la chaîne).
- enfin, Ciro a été batteur avant d'élargir son spectre de musicien instrumentiste, notamment aux claviers, et cela se ressent. Le travail sur les percussions et plus généralement sur les parties rythmiques fait souvent la différence sans que l'auditeur s'en rende forcément compte.

Et ce n'est pas fini ! Car loin d'être à court de projets, Ciro Perrino prévoit déjà une performance pour la fin de l'année, "Celeste meets Celtic Harp", qui sera l'occasion de proposer une musique acoustique basée sur la harpe celtique de Claudia Murachelli accompagnée d'instruments divers comme des flûtes baroques, du luth de la Renaissance ou encore du oud. Puis en 2026, pour les 50 ans de la sortie de Principe di un giorno, le groupe actuel en fera une nouvelle interprétation avec cette fois les paroles en anglais comme cela était prévu à l'origine en 1976. Voilà qui augure encore de très beaux moments musicaux.

Le groupe : Ciro Perrino (Mellotron, Eminent, Solina, Oberheim, Minimoog, ARP 2600, EMS AKS, percussions), Enzo Cioffi (batterie), Francesco Bertone (basse), Marco Moro (flûtes), Mauro Vero (guitares).
Autres intervenants : Ines Aliprandi (chant), Marco Canepa (piano), Mirco Rebaudo (saxophones, clarinette), Paolo Maffi (saxophones), Enrico Allavena (trombone, tuba), Davide Mocini (guitare 12 cordes sur 3 et 6), Marco Fadda (percussions).

La tracklist :

1. Anima Animus
2. Roots and Leaves
3. Cosmic Carnival
4. De Rerum Natura
5. Lilith
6. El Mundo Perdido
7. Secret Crime
8. Moon and Cloud Dancing

Sortie : 30 avril 2025 (digital), 15 mai 2025 (CD, vinyle)
Label: Inner Garden Records 

samedi 7 juin 2025

Cafuné : Tra le corde dei racconti

Avec la sortie de ce premier album du groupe Cafuné, nous sommes clairement plus dans l'univers musical de la folk anglaise des années 60 et 70 que dans celui du rock progressif italien voir même du prog tout court. Mais je me dois de vous en parler car le line-up du groupe comprend Antonio Pincione, ancien membre des groupes Lethean et surtout Bededeum dont vous aviez pu lire sur ce blog, une chronique de l'album Oltre il sipario qui reste pour moi un modèle du genre. La présence d'Antonio Pincione est à elle seule un gage de qualité et de délicatesse.
Le mot "Cafuné" est un terme portugais intraduisible qui exprime la manière tendre de passer ses mains dans les cheveux de l'être aimé, de son conjoint, mais aussi d'un enfant, d'un bébé.
C'est bien cette douceur humaine que Cafuné veut faire passer dans son album qui est constitué de 9 chansons pour autant d'histoires musicales qui sonnent comme des contes ancestraux.
Car comme je l'évoquais en introduction, difficile de ne pas penser aux grandes références britanniques du genre à commencer par Pentangle, Fairport Convention, Fotheringay, Amazing Blondel mais aussi le vieux Jethro Tull grâce aux parties de flûtes jouées par Floriana Benedetti.
Si vous êtes preneurs de magnifiques ballades raffinées et de mélodies splendides évocatrices du temps passé et des terres lointaines du Mordor, et plus récemment si vous avez aimé Anandammide, alors cet album est fait pour vous. Il est toujours agréable de retrouver le charme d'un folk british à l'ancienne.

Le groupe : Antonio Pincione (guitares acoustiques, bouzouki), Irene Lippolis (chant), Chiara Vatteroni (harpe celtique), Emanuele Casu (basse), Floriana Benedetti (flûte, synthétiseur), Michele Vannucci (batterie, percussions). 

La tracklist :
1 - Cafuné
2 - Fata del Jazz
3 – La Huesera
4 – Aronte e la Sirena
5 - Follia
6 - Giordano
7 – Caligo
8 – Alhambra 1492
9 – Ninna Nanna

Sortie : 21 juin 2025

Label : M.P. & Records
Distribué par G.T. Music Distribution

jeudi 5 juin 2025

Phil Selvini & The Mind Warp : T.E.T.R.U.S.


Nouveau venu sur la scène prog italienne, Phil Selvini est un musicien qui pratique habituellement la guitare et le chant. Egalement compositeur, il publie aujourd'hui son premier album solo accompagné de son groupe : The Mind Warp.
Vous remarquerez une illustration de pochette qui représente un personnage qui semble être un improbable croisement entre un animal préhistorique et un monstre tout droit sorti d'un mauvais film de Sci-Fi. La petite bête répond au nom de T.E.T.R.U.S. qui est en fait un acronyme regroupant les mots suivants Time, Eternal, Try, Redemption, Unique, Shine. Même si la signification paraît un peu absconse, il semble qu'il s'agisse d'une sorte de message codé que doit délivrer le bestiau aux futurs civilisations qui peupleront la Terre. J'en profite pour préciser que cet artwork n'est pas une génération IA mais a bien un créateur humain, en l’occurrence l'artiste Francesco Mucciacito.
Avec T.E.T.R.U.S. Phil Selvini propose une musique qui rend hommage au rock progressif des années 70 (cf. notamment des allusions régulières à King Crimson) avec la volonté de créer des structures complexes et des chansons de longue durée pour ne pas dire étirées. Nous allons voir que c'est effectivement le cas avec, et c'est la bonne surprise (j'anticipe un peu), du très bon contenu musical. Pour beaucoup, les morceaux présentés ont déjà été préalablement joués par Phil Selvini avec d'autres groupes. C'est peut être ce qui donne cette maturité étonnante à l'ensemble de l'album duquel se dégage également une réelle profondeur.
"To Make Ends Meet" traite de l'aliénation et du contrôle des masses. Malgré des structures rythmiques nerveuses et heurtées, les ambiances développées gardent un côté lancinant à la fois attachant et déstabilisant. Dans la deuxième partie du morceau, plus onirique, le chant évoque Sigur Ros. Il y a dès ce premier titre quelques belles envolées qui augurent du meilleur pour la suite de l'album. Ce qui va être le cas ! "Reverie" est une composition instrumentale qui regorge de sonorités d'orgue vintage sans oublier une guitare électrique qui prend le lead mélodique. Le morceau est réellement passionnant et le rythme, ici très soutenu, ne fait qu'amplifier cette impression de cavalcade symphonique. Un vrai petit bonheur de 5 mn à lui tout seul. Le faussement calme "Riding In The Fog" se distingue par ses mélodies ascendantes et ses passages fantomatiques évoquant des délires nocturnes où les rêves se transforment en cauchemars. Il se dégage de ce morceau une force tranquille qui tient l'auditeur en haleine pendant plus de 8 mn quand même. La ligne de basse, lourde et omniprésente sans être envahissante, est particulièrement bien vue. Le  long chorus final de guitare électrique clôt en apothéose ce titre. Avec son piano mélancolique  et son chant introspectif, "The Last 48 Hours" fait penser à une élégie touchante et sincère de laquelle monte progressivement une sensation d'émotions difficilement contenues. L’enchainement avec la longue suite "The Mind Warp" se fait tout naturellement avec cette intro portée par ce piano toujours dépressif et ce chant plaintif régulièrement doublé. La suite du morceau se révèle heureusement plus vivante voire parfois même carrément très rock sur certaines séquences. Mais de manière plus générale, après ce que l'on pourrait appeler un faux départ de 3 mn 30, cette pièce baigne dans les sonorités vintage de guitares fuzz et surtout de claviers (piano, orgues, Mellotron, synthés) dont Selvini et Sebartoli font un usage intensif mais toujours parfaitement pertinent. Certains passages sont absolument sublimes et rappellent à nouveau Sigur Ros par leur pureté. S'il ne fallait retenir qu'un morceau de cet album, ce serait incontestablement cette suite à rebondissements remarquablement menée de bout en bout jusqu'à ce long final suffocant et pachydermique (oui il y a du doom là-dedans), dégageant une tension et un sentiment de puissance implacable comme je n'en avait pas ressentis depuis longtemps. Ce très long titre, proche de la demi-heure (26 mn 18), se révèle également beaucoup moins rétro-prog qu'on aurait pu l'imaginer. Je lui trouve même des accents de modernité parfaitement bienvenus. Je ne vous cache pas non plus qu'en écoutant ce morceau, j'ai pensé à Steven Wilson (il y a quelques rares moments qui s'approchent de ses travaux en solo notamment de The Raven that refuse dto sing) et je me suis fait la réflexion que les Italiens se hissaient largement à la hauteur de l'Anglais.
Enfin, une remarque concernant la voix de Phil Selvini qui s'avère être un réel plus à chaque fois qu'il intervient avec un chant en anglais qui prend ici tout son sens et se fond parfaitement dans le contexte de ces compositions.
Voilà qui fait de T.E.T.R.U.S. une belle découverte mais aussi un premier album très prometteur pour le devenir artistique de Phil Selvini & The Mind Warp. Je me dis qu'avec des musiciens de ce calibre, il y a encore de belles années à venir et de beaux moments à vivre pour le rock progressif.

The Mind Warp : Phil Selvini (guitares, chant, Mellotron, effets divers), Leonardo Spampinato (guitares), Davide Sebartoli (claviers), Francesco Scordo (basse), Leonardo Puglisi (batterie).

La tracklist

  1. To make ends meet
  2. Reverie
  3. Riding on the fog
  4. The last 48 hours
  5. The mind warp

Label : Luminol Records (http://www.luminolrecords.com


dimanche 1 juin 2025

Daal : Decoding the emptiness

Decoding the emptiness, le nouvel album studio de Daal sort exactement à la même date (14 mai 2025) que le live Waves from the underground. Voilà qui pose quand même largement la question, du coté du label du groupe, de la pertinence de ces deux mises sur le marché concomitantes. Mais après tout, Daal étant une groupe qui fait dans la qualité, on ne pourra que se réjouir de cette abondance soudaine d'offres musicales.
Car, une fois encore le travail réalisé par le duo Costa/Guidoni est de très belle facture. Tout au long de l'album et de ses huit pistes, on y trouvera ce qui fait la force de Daal : tout principalement des recherches d'atmosphères sonores inspirées par des états d'âme introspectifs mais aussi une manière très personnelle d'expérimenter dans la douceur, et enfin une volonté permanente de préserver une qualité mélodique qui de fait ne se dément jamais.
Au premier abord, l'univers musical de Daal pourra vous sembler un peu froid, en marge d'un prog nordique ("Mademoiselle X" évidemment !). De fait, la sensation est bien réelle même si une chanson comme "Twilight" vient tempérer cette impression.
Mais ce qui compte c'est le résultat et il se révèle vraiment à la hauteur. Il se pourrait même que Decoding the emptiness soit le meilleur album de Daal, en témoignent :
- la magnifique pièce " Horror vacui" aussi rugueuse dans ses moments tortueux qu'ensorceleuse dans ses phases plus calmes.
- l'imparable vortex sonore "Simulacea" qui semble vouloir vous engloutir avec ses contorsions reptiliennes.
- les 13 minutes d'émotions fortes délivrées par "D.O.O.M." qui n'est ni plus ni moins qu'un inexorable voyage sonore s'apparentant à des montagnes russes fait d'emballements soudains et de dépressions inattendues !
- l’énigmatique "Return from the spiral mind" qui recèle une multitude d'éclats moirés. Les amateurs du groupe relèveront d'ailleurs que ce titre est une relecture de la longue pièce de 22 minutes que l'on trouvait en 2 parties sur l'album précédent Daedalus.

Decoding the emptiness se savoure donc pour ce qu'il est, c'est à dire un album sans faille recelant moult moments de grande beauté, mais aussi comme une confirmation de l'excellence du savoir-faire du groupe Daal et plus particulièrement de ses deux maîtres à penser Alfio Costa et Davide Guidoni efficacement épaulés par Ettore Salati  et Bobo Aiolfi. Finalement l'évidence est là : Daal ne déçoit jamais !

Le groupe : Alfio Costa (piano, Fender Rhodes, orgue Hammond, Mellotron, Minimoog, Moog, synthés), Davide Guidoni (batterie, percussions, samplers), Ettore Salati (guitares), Bobo Aiolfi (basse).

Avec aussi : Joe Sal (chant sur 1) et Alphabeard (chant sur 3)

La tracklist

  1. Decoding the emptiness
  2. Attic clouds
  3. Twilight
  4. Horror vacui
  5. Simulacea
  6. Mademoiselle X
  7. D.O.O.M.
  8. Return form the spiral mind