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mercredi 20 juillet 2022

Officina F.Lli Seravalle : Ledrôs

Des titres de morceaux volontairement hermétiques, une couverture de pochette qui cherche plus à intriguer qu'à plaire avec ses circuits imprimés posés en vrac, une musique à la limite de l'expérimental, parfois même abstraite, pas de doute, les frères Seravalle (Alessandro et Gianpietro), toujours supportés par Loris Furlan (Lizard Records) sont déjà de retour avec Ledrôs, le quatrième album de leur projet fraternel Officina F.Lli Seravalle. Pourquoi Ledrôs ? Parce que ce mot en langage frioul signifie "à l'envers", "l'envers du décor", ou encore pour s'approcher de ce que veulent exposer les frères Seravalle "la face cachée". On comprend mieux alors la signification de certains titres ("Néfaste clairvoyance", "Sublime futilità"). Pour rentrer plus en détail dans le concept de l'album, je vous laisse lire les notes de dos de jaquette (pour cela, il vous faut donc acheter le CD bien sûr !).

Une fois encore, les frères Seravalle vont délibérément emmener l'auditeur dans un monde où la perte de repères est la norme. D'ailleurs la question se pose clairement : est-il bien raisonnable de continuer à proposer cette musique inclassable qui semble plus parler à ses concepteurs qu'à ses destinataires légitimes ? La réponse est évidemment oui ! Oui car ce que l'on entend dans cet album n'a rien de commun avec un prog psychédélique, devenu lui aussi désormais codifié et prévisible, et est surtout formidablement fascinant voire hypnotique. Passer du crimsonien "Elogio di Oblomov" à l'atonal "Di refosco et di ghigno" est déjà un choc en soi mais être happé ensuite dans le cône coloré d'"Il silenzio del corpo", qui me rappelle les "Afroclonk" d'Ozric Tentacles et plus généralement Curious Corn, finit de vous convaincre que les frères Seravalle ne vivent pas dans le même monde que nous. Le jazzy et crépusculaire "Néfaste clairvoyance" ouvre tout naturellement pour "Vignesia" qui supporte un texte récité écrit par Italo Calvino. Le changement d'ambiance est radical avec "A4 - Driving the moon home" qui évoque une conduite de nuit en voiture sous l’œil éclairant d'un lune bienveillante. Le planant et électronique "Stealth revolution" est beaucoup plus inquiétant. Il prend son temps pour se répandre et prendre de l'ampleur jusqu'à emplir tout l’espace sonore avec une succession de couches d'effets et de boucles qui viennent progressivement se superposer les unes aux autres, formant in fine une masse compacte. Retour au jazz avec "L'antiprometeo" mais un jazz décadent avec une ligne de piano tombante à la fois pesante et désespérante. La deuxième partie du morceau, bien que très différente (plus électronique) garde ce côté déprimant. Il n'y a décidément pas de salut dans ce titre comme semblent le confirmer les lignes de cordes (modélisées) plaintives qui sortent de partout (les gémissements des damnées de l'enfer ?). Finalement, le mode est un peu le même au début de "Sublime futilità", la trompette délivrant de longs lamentos puis le morceau se transforme en une sorte de marche chaloupée menée par une trompette et un bugle. Étonnant et irrésistible. Je me serais bien passé par contre de "retinal fetish" et de son tempo transe même si je conçois et comprends la volonté des auteurs d'exprimer au mieux par ce biais une forme de vision relevant des effets résultant de psychotropes hallucinogènes. "Jibias de interioridad" semble vouloir continuer le trip même si cette fois le tempo dance technoïde disparait au profit d'une boucle électro. Ledrôs se termine avec l'onirique "Terzo turno" dont le thème est progressivement poussé vers un long chorus de guitare électrique qui s'évapore dans un fade out qui pour une fois a du sens.   

Sans doute un peu plus accessible que certains de leurs précédents travaux, Ledrôs n'en est pas moins un disque qui a ses exigences et qui demande beaucoup d'attention de la part de l'auditeur qui devra en outre accepter de rentrer dans un univers aussi singulier que déroutant. Mais c'est bien là l'intérêt de ce type de musique. Objectif atteint donc !


La tracklist : 

  1. Elogio di Oblomov
  2. Di refosco e di ghigno
  3. Il silenzio del corpo
  4. Néfaste claivoyance
  5. Vignesia
  6. A4 - Driving the moon home
  7. Stealth revolution (from the top down)
  8. L'antiprometeo
  9. Sublime futilità
  10. Retinal fetish
  11. Jibias de interioridad
  12. Terzo turno

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