Alors que l'écoute répétée d'
Atrox Locus, le premier album de Mater a Clivis Imperat est tout juste digérée, revoilà notre violoniste, incarnation moderne de Paganini, entouré de ses déesses libidineuses. Enzo Sciotti, le graphiste auteur de la première couverture est hélas décédé mais Emanuele Tagliatti a dignement pris le relais pour proposer une nouvelle illustration absolument et totalement machiste dont le caractère désormais transgressif la rend encore plus jouissive !
Alors que
Atrox Locus avait été le fruit tardif d'une longue gestation commencée en 2008 à la création du groupe (
vous avez le détail de l'histoire ici), Samael von Martin avait enchaîné très vite ensuite sur un deuxième album et très tôt des démos avaient été enregistrées dont j'avais pu écouter quelques extraits prometteurs.
Avec Atrox Locus, Mater a Clivis Imperat avait dealé avec le nocher Charon pour franchir sans encombre le Styx et s'approcher de l'entrée des Enfers. Nous en étions resté là avec cette œuvre qui sentait déjà bien le souffre. Mais avec Carmina Occulta, Mater a Clivis Imperat nous entraîne aux tréfonds de l'Hadès. Attendez vous à rencontrer des ombres désespérées qui errent hagardes. Tout au long des dix neuf pistes de cet album, je n'entends que lamentations et litanies mises en scène de différentes manières et sous différents tons. Et c'est bien là que réside la puissance de cet album. Car il ne suffit pas de faire dans le sulfureux lourdingue pour s'afficher satanique.
Dans Carmina Occulta, vous avez des variations d'ambiances quasi infinies. Pas un morceau ne ressemble à un autre. D'un côté, les gammes et les modes utilisées, de l'autre, les arrangements et surtout les bruitages sont à ce point présents et importants pour la cohérence de l’ensemble, qu'ils en prennent un caractère quasi diégétiques. On entend ainsi, en fait, simultanément deux sources audio consistant en une partition musicale sur laquelle est plaquée une bande d'effets sonores. Régulièrement ces deux canaux sont accompagnés d'une partie narrative. L'effet est saisissant de par sa cohérence et de par sa force évocatrice, "Melicum Brevius (Fanfara funebre)" et surtout "Sabba" en sont sans aucun doute les meilleurs exemples.
Loin de se complaire dans le lamento et le contemplatif, l'album a ses (nombreux) moments de fièvre hard et autant de montées en puissance soudaines font comprendre à l'auditeur qu'il est face à une créature animée qui peut se déchaîner à tout moment. Car si l'on peut considérer que le très rock "Sub insidiosam ruinam genero" et "Liturgica" sont pris chacun sur un tempo appuyé, il faut se rendre à l'évidence, "Chori Tragici" et "Diaboli malleus" sont nettement plus mouvementés. Je ne parle même pas de "Tragica operetta" qui, une fois lancé, se révèle être un missile supersonique. Quel esprit dérangé a pu imaginer pareil délire ?
Pour réaliser ce travail démentiel, Samael von Martin a eu l'intelligence de s'entourer d'une équipe de collaborateurs solides et a notamment fait appel à Elisa Montaldo qui apporte tout son savoir-faire, immense, dans les illustrations sonores, en plus bien sûr de ses rôles d’interprète au chant, au piano et sur sa lutherie asiatique qu'elle peut exploiter ici dans une dimension inédite ("Edoardo II - S.D. recuperatio)". Ses contributions sont régulièrement décisives jusqu'à magnifier certaines pièces comme l'ensorcelant "Anima errantes" ou le démoniaque "Sub insidiosam ruinam genero" dont l'ambiance surnaturelle ne manquera pas de vous obséder. Elle est également la compositrice et la seule exécutante de l'ambient "Peste 1347/ 2019".
On peut parler longtemps de ce disque en évoquant ses évidents penchants epic doom, dark prog et heavy rock, "Anima errantes" étant d'ailleurs au passage une belle synthèse de ces styles, mais la vérité n'est pas là. La vérité est que par le miracle de la création artistique et de l'inspiration mystique, cet album est à appréhender, et surtout à écouter, comme un opéra rock gothique, les interventions lyriques récurrentes de la soprano Elisa Di Marte venant encore renforcer ce ressenti, avec également, et pour corser l'affaire, un libretto en latin.
Seule la dernière piste peut sembler sensiblement décaler par rapport au reste de l'album. Mais il s'agit en fait d'un titre bonus, donc tout s'explique. "Movimento Dadaista Padovano" a été composé et enregistré pour la bande son d'un film I Veneratori di Morte. Bien que l'atmosphère soit incroyablement lourde et sombre, la tension retombe et permet une sortie en douceur, un peu comme quand vous quittez une salle obscure de cinéma après avoir vu un film particulièrement glauque et que la lumière extérieure vous soulage brusquement.
Plus de cinquante ans après l'avènement de Jacula et d'Antonius Rex, Samael von Martin s'affirme comme le nouveau guide du dark prog ésotérique italien et se positionne ainsi en digne successeur d'un Antonio Bartoccetti.
Similis simite gaudet.
Les musiciens :
Isabella : voix narrative principale et chant
Samuel von Martin : voix, guitares, basse, flûte, luth, percussions et chaînes
Simon Ferètro : guitare, voix sur (7 et 12)
Flavio Porrati : chant (1, 11, 18)
Wally Ache : basse
Danial : basse (1)
Elisa Montaldo : invocations, chant (2, 7, 9, 10, 12, 14, 16, 17), koto électrique, hulusi, flûte bawu en bambou, piano (9)
Vittorio Sabelli : clarinette et clarinette basse
Alessio Saglia : orgue d'église, orgue Hammond, Moog, claviers et orchestrations
Aleister Ventrenero : batterie
Elisa Di Marte : soprano (4, 5, 8, 13)
Nequam : voix narrative masculine
The Nun : chœurs féminins
Natalija Brankoviç : claviers, piano (14), orgue (1), violon (14, 17)
Domenico Lotito : solo de guitare (12)
La tracklist :
1 - Ago e filo
2 - Sub insidiosam ruinam genero
3 - Liturgica (…Itaque sit)
4 - Carmina occulta
5 - Strigarum Dominus
6 - Edoardo II - (S.D. recuperatio)
7 - Chori tragici
8 - Codex Diabolicus
9 - Tragica operetta
10 - Peste 1347/ 2019
11 - Sabba
12 - Animi errantes
13 - Noctes ad nendum
14 - Nero segreto (Funestum Drama)
15 - Diaboli malleus
16 - Praesagia pontificia
17 - Melicum Brevius (Fanfara funebre)
18 - Funebris
19 - Movimento Dadaista Padovano (bonus)
Label : Black Widow Records