dimanche 25 décembre 2022
Ma sélection des meilleurs albums de RPI pour 2022
samedi 17 décembre 2022
Barbara Rubin : The Shadows Playground
Une musicienne qui compose et interprète sa propre musique, c'est une sensibilité qui s'exprime. Quand la musicienne réalise son album quasiment seule avec ses propres moyens et qu'elle assure brillamment l'exécution de tous les instruments, il est alors évident que l'exercice relève d'une forme de catharsis.
Vous vous demandez pourquoi je commence ma chronique comme çà. Très simple ! Avec son album Shadows Playground sorti en 2020, Barbara Rubin va chercher très loin en elle ce qu'elle a de plus intime. La technique et la maîtrise des instruments ne font pas tout, et pourtant, Dieu sait que Barbara est une pianiste et une violoniste hors pair. Ce qui compte pour moi dans cet album, c'est bien la musique et surtout ce qu'exprime Barbara. Il y a tout au long de ces neufs pièces une forme de combat permanent entre une force contenue, peut être même retenue, et une introspection profonde. Barbara donne ici l'impression de jouer, telle une acrobate de l'imaginaire, en équilibre sur un fil. Alors comment se repérer ? Comment savoir entre puissance et délicatesse, entre gravité et légèreté ? Concentrez-vous sur la voix de Barbara et plus généralement sur les parties vocales (il y a aussi une voix masculine et des chœurs). Dans cet album, le guide est le chant. C'est lui qui vous indiquera ce que veut exprimer Barbara. Oui, mais il y a aussi les instrumentaux. Pour le magnifique "Sunrise promenade", la clé est dans les trente dernières secondes du morceau. Pour "Sleeping violin", l'intensité de cette pièce devrait vous guider. Enfin, le titre même de "La ballata degli angeli" résume parfaitement l’humeur de cette ballade qui est un vrai moment de grâce. Tout au long de cet album prégnant, les morceaux défilent tous plus beaux et plus fins les uns que les autres. le piano tisse des trames tour à tour mélancoliques, nostalgiques et suggestives. Les violons amènent ce supplément d'âme qui donne ainsi une vie propre à chaque morceau. Comment résister à la profondeur d'une composition comme "The Shadows playground" qui semble vouloir soudainement libérer toutes les énergies de sa créatrice.
Barbara Rubin a placé "Helen's word" en toute fin d'album et ce n’est pas un hasard car il s'agit de sa pièce maîtresse. Celle qui concentre tout ce que l'artiste a emmagasiné d'émotions et tout ce que la musicienne est capable d'exprimer en terme d'intensité. "Helen's Word" fonctionne comme un tableau de Jérôme Bosch. Écoutez bien ce morceau qui fait un peu moins de six minutes. Bluffant de par sa richesse harmonique et mélodique (la couleur modale des chœurs évoquant les modulations du chant byzantin, au début du titre), mais aussi de par sa densité et notamment avec sa succession de petits tableaux qui ont tous pour point commun une puissance évocatrice saisissante. Je connais plusieurs groupes de rock progressif qui, avec autant de matière, auraient fait une suite de vingt minutes pour un résultat peut être bien moins bouleversant.
Barbara est une artiste intègre et une musicienne talentueuse. Elle le démontre amplement avec The Shadow Playground. Mais, je vous conseille d'allez sur son site bandcamp pour mieux la connaître et la découvrir, vous risquez d'être très agréablement surpris par sa polyvalence. Je vous en donne deux superbes aperçus en avant-première : "Libera" et "Eyelids". Vous me remercierez plus tard !
Barbara Rubin : chant, violon, violon alto, piano, synthétiseurs, guitare, basse, batterie. Elle est accompagnée d'Andrea Giolo (chant et chœurs) et de Veronica Fasanelli (chant sur piste 9).
La Tracklist :
- Endless hope
- Seven
- La Maddalena
- Clouds
- Sunrise promenade
- The shadows playground
- Sleeping violin
- La ballata degli angeli
- Helen's word
dimanche 11 décembre 2022
Fiamma Dallo Spirito : Sabba
Fiamma Dallo Spirito "Sabba" ou l'incroyable histoire d'une résurrection miraculeuse. En regardant la pochette mettant en scène un succube démoniaque, vous allez dire "encore un album de jeunes métalleux nostalgiques des messes noires et autres rituels sabbatiques bien gores qui fleurissaient un peu partout dans les années soixante dix". Pourtant, la vérité est que les vingt neuf minutes de cette galette ont été enregistrées, il y a bien longtemps, le 14 novembre 1975 à Milan, pour être exact. Les protagonistes sont bien connus de ceux qui ont suivi et aimé les pérégrinations sulfureuses d'Antonio Bartoccetti avec ses mythiques groupes, Jacula et Antonius Rex, puisque Fiamma dallo Spirito était la chanteuse et vocaliste sur le premier LP de Jacula, Tardo Pede in Magiam Versus (et non ce n'était pas Doris Norton!), et Federico Bergamini était également présent comme co-compositeur pour ce même album. Mais alors qu'est ce qui explique la soudaine émergence de cette musique sortant des limbes du néant ? La belle histoire commence à partir de maintenant. Pino Pintabona, l'une des deux têtes incontournables du label Black Widow Records, avec Massimo Gasperini, a eu l'occasion de rencontrer Fiamma à plusieurs reprises, car elle habite dans le même immeuble qu'un ami à lui, jusqu'au jour où elle lui a indiqué avoir en sa possession du matériel musical inédit (des bandes enregistrées mais aussi des partitions et des notes) datant de l'époque Jacula. Pino a alors découvert chez elle des enregistrements complets et quasiment finalisés représentant effectivement toutes les pièces d'un album qui n'avait jamais été mis en forme et publié. En reconstituant l'histoire, mais avec aussi toutes les précautions d'usage (les faits évoqués restent supposés et ne sont pas formellement établis) , il apparaît qu'il s'agissait de la contribution préparatoire de Federico Bergamini et de Fiamma pour ce qui devait être probablement le deuxième album de Jacula. Mais, entre temps Antonio Bartoccetti avait rencontré Doris Norton et une hypothétique suite de Jacula l'intéressait d'autant moins que, malgré son caractère aujourd'hui mythique, Tardo Pede in Magiam Versus n'avait jamais dépassé le stade des cent douze copies pressées, principalement distribuées pour la promo (radios et journaux spécialisés) et ne s'était donc absolument pas vendu. Antonio Bartoccetti avait alors mis en route un nouveau projet Antonius Rex, avec sa nouvelle muse Doris Norton, pour aboutir finalement à l'album Zora en 1977. Mais figurez-vous que l'histoire n'est pas tout à fait fini car, alors que Bartoccetti, est supposé ne pas s'être intéressé à l'époque aux bandes de Bergamini et de Fiamma, on retrouve sur Ralefun, l'album d'Antonius Rex de 1978, trois titres qui sont des versions adaptées des compositions du projet de Bergamini et Fiamma : "Magic sadness" pour "Profezia", "Agonia per un amore" pour..."Agonia" et enfin "Incubus" pour "Povero lui" avec pour cette dernière, une partition nettement plus retravaillée. J'ajoute enfin que Pino a également trouvé chez Fiamma, des bandes datant des sessions de Tardo Pede in Magiam Versus avec des versions alternatives de plusieurs morceaux dont deux concernent le titre "U.F.D.E.M.". Voilà qui pourrait annoncer d'autres surprises à venir chez BWR.
Ecce Sabba ! Les titres des morceaux sont très évocateurs d'une forme d'occultisme centré sur la condition humaine aux prises avec les affres d'un enfer dont l'Homme ne peut espérer s'échapper que par l'amour. Musicalement, c'est quand même beaucoup moins noir et gothique que Jacula mais çà reste très sombre avec ce sentiment permanent de désespoir latent. Chaque morceau débute par un texte déclamé, parfois psalmodié, par Fiamma Dallo Spirito. Sa voix est immédiatement identifiable : puissante et affirmée, avec des intonations dramatiques poignantes. A l'occasion, elle adopte même un chant plus lyrique en lamento, comme sur "Povero lui", qui vous prend aux tripes. Ceci étant, concernant "Povero lui", j'apprécie au moins autant la version instrumentale qui est beaucoup plus pure à mon avis. Le premier morceau du disque, l'altier "Initiatio Sagae", est un
rendez-vous incontournable avec cette plongée immédiate dans un univers
ésotérique parallèle, les interventions de l'orgue à tuyaux (orgue
d'église) y étant pour beaucoup. Il faut dire que les accompagnements et les arrangements, intégralement créés et pris en charge par Federico Bergamini, sont d'une grande finesse avec un travail intéressant sur les chœurs que l'on apprécie tout particulièrement sur la ballade désespérée "Dannazione" dont l'entame mystique prend la forme d'un chant religieux en chorale mixte. Mais c'est peut être sur "Sabba" que Bergamini donne le meilleur de
lui-même, avec cette pièce incroyable tirant sur l'avant-garde avec ses vocalises arty reprenant des codes du jazz. En fait, une fois que l'on connaît l'histoire, on comprend que Bergamini a pu ainsi s'affranchir des lourdeurs et du côté un peu trop pompier, parfois à la limite du kitch, de Bartoccetti pour se concentrer vraiment sur la musique. Il est évident que le magnifique et romantique "Agonia" n'aurait difficilement pu avoir ce niveau de raffinement sur un album de Jacula. Porté par des accords plaqués au clavecin, "Agonia" déroule sa mélodie sur un rythme ralenti à l’extrême, évoquant la plus majestueuse des danses baroques du XVIIème siècle, la pavane. Tout est sublime dans cette pièce dont la version démo, "E Dio creo l'amore" se trouve à la fin de l'album avec des paroles et un arrangement différents, beaucoup moins impressionnant. Mais au final, je ne vous cache pas que j'ai quand même un très gros faible pour "Sabba" qui, non seulement rappelle plusieurs compositions d'Ennio Morricone de la même période pour le cinéma, mais en a, en plus, le niveau et la qualité.
Dites-vous que l'écoute de cet album donne une impression d'irréel tant la voix de Fiamma Dallo Spirito semble directement venir de l'au-delà. Dites-vous aussi que cette musique a un vrai pouvoir magique. J'espère que vous y serez sensible comme moi. C'est tout le bien que je vous souhaite.
En fait, l'idée générale est que ce disque mort-né tenait drôlement bien la route dans son genre et que l’exhumation réalisée par Pino Pintabona est loin d'être un coup et n'a rien d'anecdotique. Le résultat pourrait être assimilé à une version dark de Floret Silva par Kay Hoffman. Fiamma Dallo Spirito et son enfant caché, Sabba, méritent de retrouver la place qu'ils auraient dû prendre aux côtés de Jacula et de Pierrot Lunaire.Car Sabba n'est ni plus ni moins que la pièce manquante de l'immense puzzle du rock progressif italien. Il s'agit donc d'un album indispensable pour tous les collectionneurs et vrais connaisseurs de la légende du prog italien.
Les musiciens : Fiamma Dallo Spirito (chant, chœurs), Federico Bergamini (piano, orgue, clavecin, moog, chœurs), Fiametta (chœurs) + Orchestre Bergamini (guitare 12 cordes, guitare électrique, basse, batterie, percussions).
La tracklist :
Le label est Black Widow Records