Aujourd’hui, interview un peu spéciale avec un personnage
assez décalé dans le paysage prog italien : j’ai parlé de Bernardo
Lanzetti. Il a fait partie d’Acqua Fragile et de Premiata Forneria Marconi, et
plus récemment de Mangala Vallis. Il a également participé à d’autres projets
et a sorti plusieurs albums sous son propre nom. L’homme est étonnant, parfois
difficile à cerner mais toujours intéressant et passionnant. C’est ce qui fait son charme mais aussi sa force.
LDN : Bonjour Bernardo, je suis très heureux de
pouvoir discuter avec toi. Mais avant de commencer, les lecteurs de ce blog
doivent savoir quelque chose. Nous avons passé un deal ensemble : tu ne
réponds qu’aux questions qu’on ne t’a jamais posées. Let’s go.
LDN : Bernardo, comment te définis-tu en tant qu’artiste ?
BL : Je suis un honnête peintre, un écrivain, un
sculpteur et un musicien qui travaille à décorer, à décrire ou à divertir. Un
artiste doit pousser sa création ou sa performance au-delà de son imagination.
Je suis trop jeune pour vérifier si j’ai réussi !
Pourquoi dis-tu que tu es un outsider de la scène prog
italienne ?
Les morceaux de mes deux premiers albums avec Acqua
Fragile n’ont jamais été diffusés (à l’époque la RAI était la seule
radio/télévision en Italie). Mes débuts sur scène avec Premiata Forneria
Marconi ont eu lieu à Tokyo et plus
tard, nous avons fait des tournées au Royaume-Uni et aux États-Unis. Sur mon
troisième album avec le groupe, Passpartù, tout en italien, le groupe ne
voulait pas me laisser écrire les paroles et, même en tant que chanteur, m’a
sous-employé. Lorsque j’ai quitté la PFM, le batteur a pris la place de
chanteur principal et la plupart des fans ont semblé quand même contents,
alors…
Es-tu plus à l’aise à chanter en anglais ou en
italien ?
Quand j’étais enfant, à l’église, je chantais en latin.
Puis tout d’un coup, les Beatles, les Stones et tous les autres groupes sont
arrivés en Italie alors que nous n’avions que des groupes italiens qui faisaient
de mauvaises reprises en italien. Plus tard, nous avons eu Led Zeppelin, King
Crimson, Genesis, et plein d’autres groupes prog. Après avoir obtenu mon
diplôme à la High School aux États-Unis, il a été tout à fait naturel pour moi
de rejoindre la cohorte des groupes
faisant du rock et du prog avec un chant en anglais. D’un autre côté,
qui chanterait du flamenco en allemand ou des opéras italiens en chinois ?
Quel est le meilleur album que tu ais enregistré ?
Ce n’est franchement pas facile de répondre à cette
question. Avec Acqua Fragile, nous avions un budget tellement faible qu’il
n’était pas possible pour tous les membres du groupe de rester à Milan pendant
toute la durée des enregistrements. Avec la PFM, pour Chocolate Kings,
on m’a demandé de rejoindre le groupe seulement trois jours avant de rentrer
en studio. J’ai dû très vite apprendre
toutes les lignes vocales qu’ils avaient déjà conçu et écrire les paroles qui manquaient juste pour
« Out Of The Roundabout ». Pour Jet Lag, il y a eu beaucoup de
problèmes en studio à Los Angeles, alors nous avons fini l’enregistrement à
Londres et je me souviens qu’on m’a demandé de chanter à quatre heures du
matin, juste après être arrivé d’Italie par un long vol qui avait beaucoup de
retard. En fait, tous les enregistrements de ma carrière ont été compliqués et
ont demandé beaucoup d’énergie. Je pourrais peut-être répondre à ta question en
disant que Mass Media Stars (avec Acqua Fragile) est sans doute l’album
qui est le meilleur dans le contexte prog. Cover Live (album solo
de 1997) a été le plus facile à enregistrer en live et à mixer directement sans
rerecording. A New Chant (le dernier en date avec Acqua Fragile, 2017)
est celui qui sonne le mieux, à mon avis. Les meilleures paroles se trouvent
sur les albums avec CCLR et Lanzetti-Roversi.
Quelle est la chanson dont tu es le plus fier ?
« Morning comes » (sur le premier album
d’Aqua Fragile, 1973) a une mélodie
unique placée sur des arpèges très intéressants.
Dans quels groupes anglais ou américains aurais-tu voulu
chanter ?
J’ai fait partie d’un groupe anglais qui s’appelait The
Steam Band avec Steve Simpson (Roger Chapman), Jon Perry (ex Caravan), Dzal
Martin (ex Equals), Jackie McAuley (ex Them) et Clive Bunker (ex Jethro Tull)
mais à cette époque j’étais prêt à jouer avec n’importe quel groupe anglais ou
américain, connu ou pas. Aujourd’hui, ce n’est plus mon truc.
Avec le recul, chanter pour Premiata Forneria Marconi a
été une bonne expérience ou pas, pour toi ?
Hum, disons que de 1975 à 1977, j’ai vraiment aimé être
dans ce groupe et çà a été globalement une bonne expérience.
Pourquoi la chanson « Cherchez la
femme » ( Bernardo Lanzetti , 1982) ? C’était
juste un titre comme çà ou il y avait
autre chose ?
Même si mes albums sont principalement en anglais, je
me considère également comme un bon parolier en italien mais comme je suis
toujours à la recherche de mots avec des accents particuliers, j’aime utiliser
des phrases dans différentes langues quand leur signification est connue ou reconnue partout dans le monde.
Avec « chiffon » (dans la chanson « Vita In Provetta ») et « Voilà La voix »,
« Cherchez La Femme » sont probablement les seuls mots de français
que j’ai utilisé, mais j’ai fait du bon boulot avec cette chanson.
Ton album I sing the voice impossible (1998)
était très différent du reste de ta production en solo. Je fais allusion aux
atmosphères très particulières et mystérieuses. C’était voulu ?
Oui tu as raison. Cet album est très personnel. C’est mon
manifeste pour une musique d’avant-garde.
Qui a fait l’artwork pour Eclecticlanz
(2008), il est vraiment très réussi ?
Cet album est une œuvre totale d’avant-garde. A chaque
morceau correspond un support visuel qui peut être une peinture, un dessin, une
photo ou une vidéo, fait par moi. Certains d’entre eux contiennent des
expérimentations commencées parfois vingt ans avant. La pochette de l’album a
été conçue et produite avec la designer de mode Amnerys Bonvicini qui est
devenue plus tard ma femme. Une de mes peintures à l’huile « Water Girl » et
une image de mon clip vidéo « Radio Far East » ont été imprimées sur des tissus
pour devenir une véritable collection de mode, mais le matériau de base a aussi
été découpé et cousu pour produire des jaquettes de CD uniques pour l’album, ce
qui n’avait jamais été fait avant.
A propos de ton album Eclecticlanz, tu
parles réellement le grec ancien ?
Dans le théâtre grec antique, le chœur devait toujours
parler d’un rythme monotone et régulier. Dans « Hylas and the Nymph », inspiré
par le poème ancien, en parlant à travers un vocoder, j’ai utilisé ce procédé
pour faire ressurgir le poème et pour créer en quelque sorte un tempo subtil.
Bien sûr, j’ai dû apprendre à prononcer les paroles originales écrites par
Apollonio, (poète gréco-égyptien, 295 avant J.-C).
J’aime vraiment beaucoup l’album que tu as fait avec
Cristiano Roversi en 2015 (Quasi English). Vous avez prévu d’en
faire un autre ensemble ? Où en sont les projets avec le trio CCLR
(Cavalli Cocchi – Lanzetti - Roversi) ?
Le trio CCLR avait un grand avenir devant lui mais des
problèmes personnels entre Cavalli-Cocchi et Roversi l’ont réduit à un duo.
Puis d’autres problèmes entre ce dernier et moi n’ont pas permis de pousser
encore plus loin ce projet.
Faire une cover de Gentle Giant (« Convenience » )
était une idée venant de toi ou de Roversi ? J’ai trouvé le résultat
très réussi bien que plus hard par rapport à la version originale.
Roversi a eu cette idée dans ses toilettes ! J’ai
ainsi pu chanter un morceau de ce groupe fantastique avec lequel Acqua Fragile
a fait une tournée, en ouvrant pour eux, en 1973. Je les avais vus sur scène à
Londres en 1971. Pas plus de douze personnes assistaient à ce concert !
Chanter avec Mangala Vallis t’a procuré de bonnes
sensations ? C’était juste une participation unique ou tu aurais pu
continuer avec eux ?
Mangala Vallis m’a réconcilié avec le rock progressif.
Je voulais continuer mais ils étaient
OK pour prendre seulement mes paroles mais pas ma musique.
Es-tu content du retour de A New Chant, (le
récent album d’Acqua Fragile) ? Tu penses que tu vas refaire un album avec
Acqua Fragile ?
J’ai été très satisfait et même très surpris des bons
retours. Acqua Fragile pourrait faire un nouvel album mais je pense que cela
prendra du temps.
Les années passant, tu sembles de plus en plus attiré par
le chant lyrique (cf. « Sublime » ou « Fango » par
exemple). Est-ce que tu penses que c’était finalement ta voie ?
Je ne peux pas être un chanteur d’opéra mais je suis
capable de sortir les notes justes avec une certaine puissance. J’aime faire
des expériences avec mes cordes vocales et avec la respiration. Alors des trucs
qui sont rock à la base peuvent sembler se rapprocher du chant lyrique.
A propos de chant lyrique, quel est ton avis sur Francesco
di Giacomo (le chanteur décédé de Banco del Mutuo Soccorso) ?
Di Giacomo était un merveilleux chanteur et un frontman
parfait pour Banco mais je ne le classerais pas comme chanteur d’opéra.
Sur quels projets artistiques, travailles-tu
actuellement ?
Je suis en train de finir un nouvel album solo avec des
invités spéciaux (David Jackson, David Cross, Jonathan Mover et Tony Levin).
...
LDN : Je ne sais pas si tu es un outsider sur la scène prog
italienne mais tu en es en tout cas une personnalité importante du rock progressif
italien. Merci pour tout Bernardo.
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