mercredi 9 octobre 2024

Alphataurus : 2084 -Viaggio nel nulla

Alphataurus : pour vous dire l'attachement que j'ai à ce groupe, je vais devoir vous parler un peu de moi. Désolé mais çà va bien se passer, vous allez voir. Quand, j'ai collaboré au livre en italien sur les plus grands albums de rock de l'année 1973, le disque que j'ai choisi de chroniquer en premier était celui d'Alphataurus. Quand le groupe s'est reformé en 2010 autour de Pietro Pellegrini, Guido Wassermann et Giorgio Santandrea, j'ai fait le voyage en Italie pour les voir. Bien sur après, dès que j'en ai eu la possibilité, je suis retourné les voir à Milan, à Gênes ou encore à Besate. Il n'y a pas beaucoup de groupes pour lesquels j'ai un tel attachement de cœur. Avec Alphataurus, Delirium et la Locanda delle Fate font partie de ce jardin secret.
Quand Claudio Falcone m'a annoncé qu'il n'était plus dans le groupe, ça m'a fait un choc. Claudio, outre le fait qu'il avait une personnalité affirmée et une vraie présence scénique, avait pris toute sa place comme chanteur dans Alphataurus, en faisant (presque) oublié Michele Bavaro. Quand Guido est décédé, ma peine a été immense. Il faisait parti de ces guitaristes discrets mais indispensables. Alors, pour moi, il y a encore peu, Alphataurus était en train de devenir un souvenir. Et puis Pietro m'a dit un jour qu'il préparait un nouvel album et que Guido serait dessus, l'espoir est alors revenu. Même si la gestation a été un peu longue, nous y voilà pour de bon. Le troisième album du groupe est enfin disponible à l'écoute.
Commençons d'abord par la nouvelle équipe en place. Aux côtés de Pietro Pellegrini et du regretté Guido Wassermann, nous trouvons le deuxième claviériste, Andrea Guizetti, présent depuis la reformation de 2010. Le poste de bassiste a connu beaucoup de mouvements. C'est aujourd'hui Tony Alemanno, qu'on avait découvert dans la meilleure formation récente de The Trip, qui tient la basse. Le musicien professionnel Diego Mariani est à la batterie. Enfin pour le délicat poste de chanteur, c'est un autre musicien confirmé qui est convié en la personne de Franco Giaffreda, un garçon sympathique et doué que j'avais vu, il y a quelques années, en concert avec Biglietto per l'Inferno.
Le premier morceau "Pista 6" met en un peu de temps à démarrer mais une fois qu'il a enfin pris son rythme de croisière, il est alors possible de se rendre compte qu'il fait à la fois office de très belle introduction mais aussi, et cela est le plus intéressant, de liaison avec les deux précédents albums du groupe. La dernière partie, survolée par la guitare électrique de Guido, est carrément sublime.
"Viaggio nel nulla" surprend un peu par un ton résolument plus moderne. Ceci étant dit, à l'aune du grand âge d'Alphataurus, on parle là d'une modernité qui se réfère au prog des années quatre vingt dix !
Mais, c'est avec le bien nommé "Flashback (Apocalisse)" que les oreilles des progueux les plus affutés devraient se dresser. Ce son de synthé, cette puissance contenue, cette rythmique en coup de boutoir, Alphataurus se place ici en porteur du bon vieux prog italien à la Banco del Mutuo Soccorso. Daté ? Dépassé ? Détrompez-vous, pour ce genre de musique, la magie opère encore aujourd'hui, à condition que ce soit bien fait et là, c'est TRES bien fait. 
Mais ce titre ne fait que nous préparer au big opus de l'album : je parle de "Wormhole". Une première partie qui tient autant du monument hard prog que de la monstruosité prog, un croisement improbable entre Ys (Il Balleto di Bronzo) et Tarkus (ELP), puis une deuxième partie qui flirte lourdement avec Genesis et Hackett en solo, mais avec quand même un petit zeste très italien, quelque part entre les New Trolls et Delirium, autant pour les lignes de chant que pour l'apport à la flûte de Giaffreda. Après l'hymne  interprété en chorale auquel succède le pont survolé par la flûte, la fin du morceau reprend le thème mouvementé et tumultueux de la première partie, laissant ainsi réellement l'impression d'avoir affaire à une suite prog parfaitement finie.
"Meta e metà" est un titre complètement insane, un compromis réussi entre le Alphataurus de 1973 et celui de 2012, ce qui fait qu'on pourrait même assez bien projeter la voix de Claudio sur les parties chantées. Ceci étant dit, et il faut le souligner, Franco Giaffreda assure bien et fait parfaitement le job. Mais cette composition est aussi une orgie de claviers vintage (d'abord le Clavinet et le Moog puis l'orgue Hammond un peu plus loin dans le morceau) dont les sonorités si caractéristiques ne peuvent que vous faire frétiller de bonheur. 
Enfin, le groupe a choisi de clôturer l'album avec une chanson d'une beauté...je ne vous dis que ça ! La ligne de chant de "E = mc2" est sublime et l'accompagnement symphonique ramassé est à la fois d'une délicatesse et d'une légèreté qui permettent d'élever le morceau au sommet de la béatitude. Tout est ici parfaitement équilibré et d'une justesse incroyable. Je ne vois d'ailleurs pas comment cette ballade aurait pu être chantée dans une autre langue que l'italien.
Au niveau artwork, Diego Marini (le batteur) a créé une œuvre picturale, traitée en clair-obscur, qui s'inspire beaucoup de la couverture mythique de l'album de 1973. La version vinyle propose d'ailleurs également un triptyque à rabats permettant de contempler le tableau dans son intégralité. On constatera que les colombes volent dans un halo de lumière blanche qui est le seul point lumineux d'un immense paysage de désolation.
2084 -Viaggio nel nulla est une production musicale sans doute moins folle et délirante que sa lointaine devancière de 1973 mais elle en garde la même puissance évocatrice et la même beauté sombre. Cette œuvre conceptuelle, qui mélange réflexions philosophiques et visions utopiques, est une étoile de plus à ajouter à la constellation du Taureau, une étoile qui va briller aux côtés de ses deux sœurs aînées. Un bon moyen de rendre hommage à Michele Bavaro, Alfonso Oliva et Guido Wassermann. 
Sic itur ad astra !

Le groupe : Guido Wassermann (guitares, synthés, chœurs), Andrea Guizzetti (piano, synthés, chœurs), Pietro Pellegrini (orgue Hammond, synthés), Tony Alemanno (basse), Diego Mariani (batterie, chœurs), Franco Giaffreda (chant, guitare, flûte).

La tracklist :

1. Pista 6 (8:56)
2. Viaggio nel nulla (4:59)
3. Flashback (Apocalisse) (5:50)
4. Wormhole (10:15)
5. Meta e metà (6:36)
6. E = mc2 (5:05)

Label : AMS Records

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