samedi 4 novembre 2023

Ancient Veil: Puer Aeternus

Tout d'abord, répondons à la question : qui est Puer ? Puer est un être irréel. Il n'a pas d'existence physique, pas d’âge et pas de sexe défini. Il n'est ni un enfant, ni un adulte. Il existe dans un vide absolu et intemporel, une sorte d'Eden agréable, lumineux, une dimension qui pourrait être assimilée à un monde parfaitement stable où tout est figé, où les notions d'émotions et de désir sont absentes. Dans cet univers qui n'a ni début ni fin, Puer s’interroge sur sa condition éternelle. Dans cet album, il est pris comme postulat de départ que chacun d'entre nous peut être "Puer aeternus". En fait, chacun d'entre nous l'est en partie de par la disharmonie ressentie avec soi-même et, par conséquent, avec le monde extérieur. Chacun peut être cet éternel enfant doté d'immenses capacités mais qui préfère ne pas affronter ses transformations, incapable de grandir vraiment, de construire une vie en harmonie avec les autres et avec la nature.

Le thème ambitieux ainsi posé nécessitait de construire une œuvre artistiquement à la hauteur. Aussi pour exprimer pleinement et dignement toutes les subtilités de ce concept, les créateurs de ce projet ont mis les moyens aussi bien en terme de compositions que d'interprètes. Puer aeternus est un album qui évolue dans plusieurs directions mais qui, surtout, contient une musique progressive à la hauteur de ce que le rock progressif italien le plus exigeant peut produire, ce qui entend des références puisées dans la tradition aussi bien folklorique que médiévale, mais aussi une ouverture vers des contrées expérimentales ("La caduta sulla Terra" par exemple) voire même vers un jazz déstructuré d'obédience ouvertement avant-gardiste ("Il secondo tradimento") permettant à Martin Grice de réaliser une fois encore une performance hors norme.
Côté lutherie, comme toujours avec Ancient Veil, la palette d'instruments utilisées est incroyablement large. Ainsi l'approche acoustique se veut la plus riche possible. En effet, ce n'est pas pour rien que vous pouvez entendre de la guitare classique, diverses flûtes, des saxophones, une clarinette, un hautbois, du basson, du cor français mais aussi un quatuor à cordes et une section de cuivre. Vous reconnaîtrez que l'on n'est plus très loin d'un orchestre symphonique même si tous ces instruments nobles ne jouent pas en même temps. Et pourtant, loin d'être de la musique de chambre, vous constaterez que batterie, basse et percussions sont bien présents, là où il faut et quand il faut, et que l'orgue Hammond, et même un Moog, prennent à l'occasion, leur part dans l'espace musical imaginé par Edmondo Romano et son compagnon d'aventure de longue date, Alessandro Serri.

Il aura fallu trois ans aux membres du groupe pour élaborer et finaliser cet album qui est sans aucun doute ce que Ancient Veil aura fait de plus ambitieux à ce jour. Car il faut bien appelé un chat un chat, nous avons ici affaire à un opéra rock qui peut faire  penser, au moins dans l'esprit, au projet Merlin co-signé en 2000 par Fabio Zuffanti et Victoria Heward. Là s'arrête la comparaison car Ancient Veil a sa propre esthétique sonore héritée de la période Eris Pluvia et qui a été depuis développée et enrichie au point d'en faire une marque de fabrique haut de gamme (et oui ces musiciens sont sur le pont depuis plus de trente ans maintenant !).

Compte-tenu du concept et du format choisi, il est évidemment souhaitable d'écouter l'album dans son intégralité en respectant la progression logique des dix huit morceaux qui s'enchaînent d'ailleurs très naturellement. Je ne peux que vous conseiller de vous laisser aller à suivre tranquillement le déroulé de ce conte musical (le terme me parait d'ailleurs plus approprié que celui d'opéra rock). Les compositions sont toutes remarquablement écrites et les exécutants sont tous parfaits dans leur rôle. Ce qui ne gâche rien non plus est le choix du chant en italien (une première pour Ancient Veil) qui sied à merveille à cette musique qui se déploie et s'épanouit dans la plus parfaite sérénité. C'est sûr qu'on est ici aux antipodes de Rhaposdy in Fire ! 

Ceci étant dit, difficile de sortir un morceau plutôt qu'un autre car comme je vous l'ai indiqué, il s'agit avant tout d'une œuvre globale, chaque piste constituant une pièce indispensable d'un ensemble cohérent.  Mais je dois quand même dire que des morceaux du calibre de "La miseria del mondo" ou "L’ascesa di Hermes nel dio visibile" me laissent toujours pantois. Autant de groove distillé et de musicalité exprimée pour un résultat aussi original, c'est bluffant. Je dois également ajouter deux autres chansons pour lesquelles j'ai quand même un petit coup de cœur : d'abord "La saggezza della natura", un peu pour quelques passages chantés par Alessandro Serri (Kore) qui évoquent Angelo Branduardi, beaucoup pour ses parties magistrales de cordes frottées et à la folie pour Sophya Baccini qui vient poser sa voix magnifique sur ce titre, et aussi "Il distacco" qui permet de découvrir Lino Vairetti en Créateur et d'apprécier les interventions à la flûte qui sont de toute beauté, un modèle du genre pastoral. 

La réussite musicale évidente de cette album, mais surtout son caractère dramaturgique, méritent (exigent !) que ce projet prenne vie sur une scène à l'instar de The Rime of the Ancient Mariner  que Fabio Zuffanti avait monté sous la bannière Höstsonaten fin 2012  (album Alive in Theatre - 2013). Cela nous laisse le temps de savourer tranquillement ce disque comme il se doit car il le mérite amplement.

Sortie le 10 novembre 2023 chez Ma.Ra.Cash

Le groupe Ancient Veil : Alessandro Serri (vocaux, guitare classique, guitare acoustique, guitare 12 cordes, guitare électrique, flûte, harmonica, claviers, programmation), Edmondo Romano (alto soprano  tenor bass recorder, sax soprano et sopranino, chalumeau, clarinettes, low whistle, vocaux, Fabio Serri (piano, orgue Hammond, Moog, vocaux), Massimo Palermo (basse), Marco Fuliano (batterie)

Musiciens invités : Martin Grice (sax alto), Francesco Travi (basson), Natalino Ricciardo (cor français), Marco Gnecco (hautbois), Roberto Piga (premier violon), Fabio Biale (second violon), Ilaria Bruzzone (viola), Kim Schiffo (violoncelle), Olmo Arnove Manzano (percussions)

Intervenants par ordre d'apparition et rôle :

Simona Fasano : Nature
Alessandro Serri : Puer, Hermès, Kore
Lino Vairetti : le Créateur
Elisa Marangon : l'âme (anima)
Tony Cicco : le chantre
Roberto Tiranti : Crono
Fabio Serri : Mercure
Sophia Baccini : Toth
Edmondo Romano, Alessandro Serri, Simona Fasano : le chœur des Hommes


La tracklist :

01 - L’eterno tempo [Time eternal]
02 - Il distacco [The detachment]
03 - La caduta sulla Terra [The fall to Earth]
04 - La visione della parte mancante [The vision of the missing part]
05 - Nella stanza l’intera storia umana [In the room, the entire human story]
06 - Il senso dell’insensato [A sense of the senseless]
07 - La miseria del mondo [The misery of the world]
08 - La comprensione del tempo [The comprehension of time]
09 - Amore e potere [Love and power]
10 - L’ascesa di Hermes nel dio visibile [The rise of Hermes as the visible god]
11 - Il terzo millennio [The third millennium]
12 - La culla troppo stretta [The too narrow cradle]
13 - Il secondo tradimento [The second betrayal]
14 - Io e ombra [I and shadow]
15 - Puer aeternus [Puer aeternus]
16 - La reviviscenza [Resurgence]
17 - La saggezza della natura [The wisdom of nature]
18 - La nuova aurora [The new aurora]

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