dimanche 30 avril 2023

Prog and Frogs 2023

 

 Difficile de résister à cette affiche du festival Prog and Frogs qui se déroule les 10 et 11 juin à Besate !

jeudi 27 avril 2023

Tony Carnevale : Tu che mi puoi capire

Profitant de la sortie du nouvel album de Tony Carnevale, je me dis qu'il est peut être temps que le monde du rock progressif se rende enfin compte de ce que cet immense musicien italien apporte discrètement à ce courant musical depuis maintenant plus de trente ans. Connu et reconnu comme instrumentiste (pianiste) mais aussi comme compositeur, chef d'orchestre, arrangeur et chef de chœur, Tony Carnevale s'intéresse en plus, et depuis toujours, au rock symphonique et a réalisé plusieurs albums qui s'inscrivent au moins partiellement dans ce style. J'avais référencé et chroniqué son album, publié en 1995, La Vita che grida dans mon premier livre (Le petit monde du rock progressif italien). J'ai depuis suivi et commenté ses sorties ultérieures et notamment, récemment sur ce blog (ici), son album de 2001, Movimento III, dans sa version revisitée et complétée en 2022. 

Cette fois, il s'agit d'une œuvre très personnelle. Tu che mi puoi capire est l'hommage d'un artiste accompli à tous ceux et toutes celles qui l'ont nourri intellectuellement et inspiré artistiquement parlant. Mais il y a plus ! Car comme le dit si bien Tony, les expériences et les relations qui marquent une vie sont difficiles à décrire avec des mots. C'est donc au piano, et accompagné d'un orchestre, que Tony Carnevale exprime ces images intérieures qui sont profondément inscrites en lui, comme si elles faisaient partie intégrante de l'homme qu'il est aujourd'hui. Mais loin de rester renfermer sur lui-même, Tony Carnevale s'adresse à ceux qui pourront le comprendre, qui seront capables de ressentir de la passion pour ce qui est beau, de la compassion pour les autres et de la compréhension pour ceux qui vivent différemment. En cela, le titre de cet album (toi qui peut me comprendre) est aussi une sorte d'appel, d'envie d'aller vers les autres.

L'exercice (piano/orchestre) amène à une forme de classicisme que Tony sait rendre passionnant en lui donnant les atours d'une musique contemporaine qui est évidemment basée sur un savoir académique, mais mis au service d'un langage bien actuel. Certains y trouveront un côté musique de film (« il suono della tua voce », "Oltre le note"), ce qui me semble tout à fait en phase avec cette volonté d'exprimer ce qui peut aisément être assimilé à des clichés imprimés de manière indélébile dans l'esprit de Tony. Un morceau comme "Quel discorso che non abbiamo mai finito" a d'ailleurs toutes les caractéristiques d’une pièce impressionniste romantique dont le caractère intimiste n'échappera pas à l'oreille frémissante de l'auditeur attentif.

Les parties symphoniques dégagent une puissance et une emphase qui permettent facilement une transposition visuelle imaginaire. Je pense tout particulièrement à cette pièce de neuf minutes,  "Pagine dal libro", qui est sans doute ce que j'ai entendu de plus beau depuis longtemps. La grandeur de cette composition se construit à travers un flot mélodique d'une richesse rare nourrissant tout un nuancier d'émotions. La surprise est d'autant plus totale que l'intro dirige l'auditeur plutôt vers un univers proche de celui de Keith Emerson, Tony Carnevale reprenant à son compte cette manière distinctive de plaquer des accords marcato sur une structure d'intervalles dissonants (Ah les secondes et les quartes augmentées chères à Keith !). En cela cette étonnante ouverture constitue une sorte de leurre quand on connaît la suite bien différente du morceau qui, je le souligne à nouveau, est une pure merveille, une symphonie de l'espoir, une ode à la beauté absolue. 

Et puis, il y a aussi l'avant dernier morceau, cette nouvelle version de "La vita che grida" réarrangée pour un résultat sublime, du pur rock symphonique orchestré par un Maestro (çà change !). Francesco Di Giacomo est au chant et Rodolfo Maltese à la guitare. Que ces deux là me manquent à moi aussi ! Mais la plongée dans le monde merveilleux de Banco del Mutuo Soccorso n'est pas tout à fait terminée car les 2 minutes 21 de la piste finale, "...al tempo meravigliosamente perso insieme", résonnent encore comme du Banco instrumental, une sorte de "traccia" de laquelle s’échappe quelques notes fugaces citant, devinez quoi? "R.I.P. (Requiescant in pace)" et "Non mi rompete". Un bonheur total !  

Tu che mi puoi capire est évidemment un évènement important dans la carrière artistique de Tony Carnevale. Il y aura un avant et un après ce disque dans sa discographie. Mais, c'est aussi la matérialisation d'un moment charnière de sa vie. Un moment de réflexion, presque de recueillement, où il veut se rappeler de ceux qu'il a rencontré, de ceux qui ont compté et il imagine cela comme un théâtre rempli de ces gens qui, d’une manière ou d’une autre, ont fait partie de sa vie. Cet album est le témoignage de cette démarche sincère et profondément humaine de Tony. On ne peut que s'incliner devant une telle abnégation surtout quand on écoute la résultat.

La tracklist :

  1. il suono della tua voce 
  2. Quel discorso che non abbiamo mai finito
  3. Ad ogni incontro
  4. Oltre le note  
  5. Pagine dal libro
  6. La vita che grida
  7. ...al tempo meravigliosamente perso insieme

Vocaux féminins : Daniela Soraci

 
L'album est sorti le 23 avril 2023 et est disponible en LP et en CD

Label : Soundtrack Records
 

jeudi 20 avril 2023

Balleto di Bronzo : Lemures

Je vous l'avais annoncé il y a quelques mois : la sortie d'un nouvel album de Balleto di Bronzo, dont la seule évocation du nom fait frémir dans le petit monde du rock progressif italien. Donc, en ce mois d’avril 2023, nous y sommes. Lemures sort chez Black Widow. Bien sûr, avec Gianni Leone, il fallait s'attendre à de l'exubérant. Et c'est bien le cas à la seule vue de la pochette mettant en scène un personnage improbable qui fait penser à un figurant de carnaval vénitien surgissant d'un film du cinéma bis. L'accoutrement de Gianni Leone est en fait un patchwork de vêtements et tissus personnels voire familiaux avec lesquels il s'est composé ce déguisement (Gianni adore se déguiser !). Et comme toujours avec Gianni Leone, le grotesque côtoie le mystique. C'est ainsi que l'album s'appelle Lemures, évoquant ainsi ces spectres bien particuliers qu'étaient les lemures, en fait des revenants à l'esprit plutôt malsain, dans l'antiquité romaine.
Au niveau création artistique, je ne vois pas bien comment on changerait Gianni aujourd’hui. C'est donc musicalement toujours aussi sombre, souvent hanté, parfois même heurté. Gianni Leone se plaît dans des atmosphères sonores torturées desquelles émergent des moments plus mélodiques qui constituent de très belles, mais rares, parenthèses marquées par une sensibilité exacerbée ("certezze fragile", "il vento poi"). Difficile également d'échapper à quelques sonorités technoïdes et autres ambiances new wave, réminiscences de l'autre face trouble de Gianni Leone, aka Leo Nero, heureusement limitées et concentrées sur le morceau "oceani sconosciuti". Gianni Leone fait partie de ces artistes qui expulsent leurs passions et leurs traumas avec une telle force et une telle conviction que l'auditeur se retrouve pris malgré lui dans un vrai maelström émotionnel ("L'ombra degli dei" et encore "il vento poi"). Au niveau rythmique, on balance entre frappes pesantes et patterns saccadés, l'opener "incubo succobo" en étant un parfait exemple, du genre instrumental sabbatique qui vous met mal à l'aise rien qu'à l'écouter. En clair, on retrouve toutes les particularités tant harmoniques que rythmiques qui font la marque de fabrique de Gianni Leone. 

Mais il y a aussi toujours, chez cet artiste hors norme et fantasque, cette étonnante capacité à donner vie à des œuvres musicales qui, au delà d'un côté parfois délirant ("napoli sotterranea"), acquièrent toutes une personnalité qui dépasse à chaque fois largement le simple statut de chanson. On pourra parfois trouver des similitudes de style avec ELP (encore que !) et pourtant, jamais je n'ai ressenti un morceau de l'illustre trio anglais, même le plus puissant, avec cette impression d'être face à une créature vivante ("l'ombra degli dei"). Car, de fait, je vois plutôt les créations de Gianni Leone comme des êtres qui prennent vie dans le temps imparti que leur donne leur démiurge romain. Comment affronter et ressentir autrement un monument comme "Labyrinthus" ? Vous pouvez trouver, à juste titre, cette chronique délirante, mais je vous promets qu'elle est à la hauteur de ce qu'a produit Gianni Leone avec son Balleto di Bronzo du XXIème siècle. 

Ce qui est sûr, c'est que cinquante ans après sa sortie, les nostalgiques de Ys ne seront pas déçus par son lointain descendant. Sans même parler de "deliquio viola", qui est sans doute l'acmé de cet album, des titres comme "lemofago" et "l'ombra degli dei",  peuvent carrément constituer des dignes prolongements des célèbres incontri ! D'une manière aussi improbable que passionnante, Gianni Leone ajoute donc un chapitre majeur, à l'histoire épisodique d'un groupe mythique du rock progressif italien.

Les musiciens jouant avec Gianni Leone sont Riccardo Spilli (batterie) et Ivano Salvatori (basse) qui l'accompagnent déjà depuis un moment sur scène.

La trackist :

  1. incubo succubo
  2. oceani sconosciuti
  3. lemofago
  4. napoli sotterranea
  5. l'ombra degli dei
  6. labyrinthus
  7. certezze fragili
  8. deliquio viola
  9. il vento poi


    Label : Black Widow Record

 

dimanche 9 avril 2023

La Giostra Di Vetro


Çà sort de nulle part et çà sonne vraiment très bien. Pour l'instant La Giostra Di Vetro propose deux titres en écoute sur YT d'un futur album qui doit s'appeler Dove sua l'anima. Comme d'habitude, je vous tiens au courant pour la suite.

'Il tua daimon"

"Nel delirio"

mercredi 5 avril 2023

Luca Scherani : Everything's changing

Vous avez entendu parler de La Coscienza di Zeno, de Trama, de Höstsonaten, de Merlin The Rock Opera  de Fabio Zuffanti, alors vous connaissez Luca Scherani ! C'est aussi lui qui a assuré récemment une bonne partie de la conception de l'album solo de Stefano Lupo Galifi (Museo Rosenbach), Dei Ricordi, un museo. C'est vous dire si ce musicien, en plus d'être un garçon charmant et gentil, sait se rendre indispensable. Plus de dix années après le très réussi Everybody's waiting, il sort (enfin) son quatrième album solo. Le mutisme de son groupe phare, La Coscienza di Zeno, explique peut être cette envie de combler un vide comme semble le démontrer la deuxième piste, "Il discorso", qui nous permet d’entendre à nouveau la voix si expressive, si italienne d'Alessio Calandriello dans un style similaire à celui de la Coscienza di Zeno. Mais non, en fait ce Everything's changing est bien une création solo de Luca Scherani qui nous présente toutes les facettes d'une personnalité artistique plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Car si l'on connaît et apprécie le Luca Scherani délivrant des compositions se distinguant par leur finesse extrême ("Piccole gocce", "Awondalimba" ou encore "La necessità" et son bouquet de quatre flûtes enrobé par un délicat arrangement de synthé), ou par leur romantisme exacerbé en format musique de chambre ("Prologo frammentario", "Nebbia sul buio"), il est aussi capable de nous étonner avec des pièces beaucoup plus aventureuses comme le légèrement technoïde "Everything's changing" qui fonctionne sur une gamme pentatonique à résonance orientale ou encore avec la mini suite "La ragione" qui se termine par une longue explosion symphonique. Dans un genre radicalement différent, "Un viaggio verso un sogno" s'affiche d'abord franchement jazz-rock avant de pencher vers quelque chose de plus pop tout en restant dans un registre délicieusement jazzy. Les cuivres sont ici mis en avant et l'ami Martin Grice est comme toujours impérial au saxophone. "Un viaggio verso un sogno" est évidemment un titre très accrocheur qui permet aussi de découvrir la magnifique voix de Sefora Firenze pour une séquence très Matia Bazar (Sefora a clairement des intonations qui rappellent le chant de la grande Antonella Ruggiero, au point que c’en est troublant). Luca  signe également avec "Ghiaccio calpestato", une perle de musique minimaliste mélodique à la frontière de l'avant-garde. L’enchaînement avec "Cristina" est d'ailleurs bien vu tant cette pièce prolonge la précédente avec cette fois une incursion vers le sérialisme de Pierre Boulez. J'ai bien sûr un faible pour "Il cosmo" marqué par cette progression, prenant la forme d'un crescendo, matérialisée par ce passage de relais qui se fait entre le quatuor à cordes, qui débute le morceau, et le groupe rock, duquel émane la guitare lead de Paolo Ballardini, qui amène le titre jusqu'à son outro. Arrivé presque au terme de cet album, vous aurez remarqué je l'espère, la récurrence d'un thème que l'on retrouve, sous une forme à chaque fois un  peu différente,  à quatre reprises dans l'album, d'abord sur "Il discorso", puis sur "La ragione" et "La necessità" et enfin sur "Il cosmo" justement. Ces quatre morceaux sont en fait les quatre passages d'une suite en quatre mouvements imaginée par Luca pour illustrer musicalement la théorie du mouvement et de l'écoulement perpétuel défendue par Héraclite ("Tout passe, rien ne reste"). Il est aussi bon de noter que Luca termine l'album sur une pirouette inattendue avec "Ein lied: der soldatenfriedhof in Bruneck". Il s'agit, comme son nom l'indique, d'un lied, c'est à dire d'un poème écrit en allemand et mis en musique avec une association piano/voix, cette dernière prenant une connotation lyrique en la personne de la soprano Chiara Bisso qui est parfaite dans ce rôle de composition. J'avoue rester assez hermétique à ce type d'exercice, mais c'est le choix de Luca. 
J'avais déjà grandement apprécié Everybody's waiting sorti en 2012 (il est d'ailleurs présenté en détail dans mon livre Plongée au cœur du rock progressif italien), mais je dois dire qu'avec Everything's changing, Luca Scherani franchit un cap important, sans aucun doute celui de la maturité artistique pour un musicien qui a aujourd’hui quarante cinq ans et encore un bel avenir devant lui. En tout cas Everything's changing est un très bel album qui démontre l'immense talent d'écriture de son créateur et ordonnateur. Luca est un des rares musiciens, parmi tous ceux que je connais, à être capable de marier avec autant de bonheur la musique classique avec des styles musicaux plus modernes pour nous proposer in fine des pièces parfaitement construites et sonnant magnifiquement ("la ragione" en est un sacré exemple). Bellissimo !

Aux côtes de Luca, on trouve nombre de musiciens de la sphère génoise à commencer par Fabio Zuffanti (Finisterre, Höstsonaten, La Maschera Di Cera), Paolo Tixi (Il Tempio delle Clessidre), Andrea Maddalone (New Trolls), Matteo Nahum (Nanaue, Höstsonaten, La Maschera Di Cera...), le guitariste soliste Pino Ballardini (Ballard), mais aussi une légende en la personne de Bob Callero (Osage Tribe, Duello Madre, Lucio Battisti...) sans parler de la famille avec Joanne Roan et Alice Scherani, que j'ai connu toute petite. C'est dire si Luca est bien entouré ! 
 

Les musiciens : Luca Scherani (claviers, guitares, basse, percussions, programmation, vocoder, bouzouki, glockenspiel, flûte), Alessio Calandriello (chant), Paolo Tixi (batterie), Fabio Zuffanti (basse), Bob Callero (basse), Andrea Maddalone (guitares), Matteo Nahum (guitares), Paolo Ballardini (guitares),  Marco Callegari (trompette), Martin Grice (saxophone), Stefano Massera (harpe), Joanne Roan (flûte), Alice Scherani (flûte) + le quatuor à cordes composé de Sylvia Trabucco (violon), Alice Nappi (violon), Ilaria Bruzzone (violon), Chiara Alberti (violoncelle).


La tracklist (vous pouvez écouter les titres en cliquant dessus): 

1. Piccole gocce
2. Il discorso
3. Prologo frammentario
4. Everything's changing
5. Un viaggio verso un sogno
6. Nebbia sul buio
7. La ragione
8. La necessità
9. Ghiaccio calpestato
10. Cristina
11. Awondalimba
12. Il cosmo
13. Ein lied der soldatenfriedhof in Bruneck 

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