Trente trois années séparent ce Tertium non datur de Myth of the Chrysavides publié en 1988 alors même que le groupe Ezra Winston avait déjà dix ans d'existence. Un deuxième album était sorti en 1990, le mythique Ancient Afternoons, peu après le groupe se séparait et ensuite, plus de nouvelle ! Officiellement en tout cas, car en fait les membres d'Ezra Winston ont continué à se retrouver épisodiquement jusqu'à refaire des concerts au début des années deux mille dont nous avons un témoignage sur cet album avec le titre "Dial-Hectic", un enregistrement live de 2004. Lors de ces rencontres, le groupe a enregistré à chaque fois quelques nouveaux morceaux mais il n'y a jamais eu de nouvel album. Il a donc fallu l'obstination et la persévérance de Guido Bellachioma, le pape italien du RPI, pour réussir à compiler ces titres sur un LP vinyle et le publier ensuite dans le cadre de son label prog de qualité Progressivamente. Ceci explique le nombre d'exemplaires limité du disque, mais çà ne justifie quand même pas que cet album soit passé sous les radars prog. A noter également qu'il était prévu une sortie CD en 2021 avec des
morceaux en plus. Mais pour l'instant, Sœur Anne ne voit toujours rien
venir !. Un scoop pour les lecteurs de ce blog : le groupe m'a confirmé que la version CD augmentée de nouveaux titres est bien en cours de réalisation ! Côté chroniques, çà ne se bouscule pas non plus. Nous allons donc remédier à cette injustice illico presto !
Premier constat : tous les membres du groupe apparaissent sur l’album, ce qui est quand même un sacré exploit, même si Daniele Lacono n'assure qu'un titre à la batterie ("Mars Attacks"), les autres morceaux bénéficiant de la présence efficace d'Ugo Vantini, déjà rencontré avec le projet Divae et qui a aussi joué il y a quelques années avec Gianni Leone pour une des nombreuses reformations éphémères d'Il Balleto di Bronzo.
Deuxième constat : nous avons droit à un très beau packaging avec un recto et un verso de couverture réalisés par la dessinatrice Lorenza Pigliamosche Ricci qui avait déjà fait celle de Dedicato a Frazz Live pour Semiramis. Et toujours avec, le livret Prog Rock Italiano de 8 pages (là c'est le n° 99) avec l'histoire du groupe, une interview et plein de photos inédites, du collector pour vrai fan de prog italien quoi ! La magnifique illustration en noir et blanc dessinée au fusain, en intérieur de pochette, est signé Giuliano Piccininno.
Ensuite, une question fondamentale, quasi existentielle, se pose : ce disque est-il à la hauteur de la légende que le groupe a réussi à instaurer en trois ans et deux albums, il y a déjà .... trois décennies ?
Réponse : je vous connais, vous attendez un oui libérateur ou un non crucificateur. Un peu de patience !
Pour commencer, disons que le côté pastoral à la early Genesis a en partie disparu au profit d'un prog plus trempé et plus affirmé mais qui reste quand même bien ancré dans ce qui se faisait à la fin des années 80/début des années 90 au point d'avoir l'impression d'avoir affaire à des musiciens qui utilisent toujours les mêmes synthés qu'à leurs débuts. Côté batterie, à l'évidence Ugo Vantini n'est pas là pour rigoler, sa frappe sèche et lourde apporte à la fois du muscle et du nerf à l'ensemble sans toutefois jamais dénaturer la musique d'Ezra Winston qui reste très raffinée même dans ses moments les plus rock ("Dial-Hectic" qui pourrait facilement être rapproché de Marillion période Fish ou du IQ des années 80). "Call up" vous fera immanquablement pensé à Jethro Tull, et c'est ma foi un bel hommage au groupe de Blackpool même si çà tape pas mal dans "Thick as a brick". "The rain comes" renoue avec le côté le plus sombre d'Ezra Winston, évoquant un autre vieux groupe italien des années 90, Men of Lake, avant d'évoluer dans sa deuxième partie vers une progression qui tient beaucoup de "I know what I like" de ...Genesis encore (et c'est pas fini). Dieu que cette longue séquence instrumentale fait du bien à entendre. Ce morceau est incontestablement la première belle surprise de cette galette. "Mars Attacks" est un titre crunchy qui fait penser au début au Yes période Trevor Rabin avec, ensuite très rapidement, en arrière plan, un étonnant relent de UK, alors que pour la partie centrale, le groupe ne peut s’empêcher de citer à nouveau Genesis dans le texte avec une longue évocation protéiforme de "The fountain of Salmacis". Voilà en tout cas un style de musique détonnant de la part d'Ezra Winston. Pas désagréable mais surprenant quand même. Quant à "Odd one out", dernier titre en date enregistré en 2015, il est la preuve éclatante que le groupe a bien évolué au cours des années. C'est une fois encore très accrocheur avec un riff de guitare très crâneur et un chant très expressif, quasiment théâtral et pour tout dire très déluré. Ce qui s'apparente à l'évidence à une mini suite épique, avance sur un tempo marqué assez lourd qu'on aurait quand même voulu plus varié. La respiration arrive (enfin) sur la dernière partie ("Journey's end") avec un chant en canon qui renforce encore la couleur médiévale de cette fin de morceau.
Alors la réponse ? Bien évidemment, au cours de ces trente dernières années, ces musiciens ont évolué artistiquement et humainement parlant. L'idée n'est pas de faire de comparaisons. Je pense notamment au monument "Ancient of an unknown town" sur Ancient Afternoons. Comment voulez vous rivaliser avec çà ! Disons que la magie des deux vieux albums a disparu au profit d'un genre de musique plus affirmé mais qui ne renie pas ses fondamentaux. Tenant compte du fait que ce disque est quand même une construction artificielle, le risque était plutôt qu'il manque une ligne directrice claire. Finalement, çà n'est pas le cas ou tout au moins, il n'existe pas de décalage stylistique flagrant entre les morceaux.
Tertium non datur signifie en latin "le troisième n'est pas donné", ce que l'on pourrait traduire de manière "vulgaire" par ce troisième album n'était pas gagné. Ce qui est vrai, autant pour ce qui concerne le fait de réentendre enfin Ezra Winston mais aussi pour le seul exploit d'avoir réussi à réaliser ce LP (encore merci à Guido Bellachioma). Certes la magie des deux premiers albums n'est plus la même mais il reste le plaisir de retrouver un groupe solide qui propose cinq morceaux sans faille avec une multitude de très beaux moments. Voilà qui devrait largement suffire au bonheur des nostalgiques d'Ezra Winston.
Le groupe : Fabio Palmieri (guitares), Mauro Di Donato (claviers, guitares, chant), Paolo Lucini (synthés, flute, basse, chant), Fabrizio Santoro (basse), Daniele Lacono (batterie)
+ Simone Maiolo (basse), Andrea D'aprano (basson), Ugo Vantini (batterie), Stefano Pontani (guitares),
A1. Dial-Hectic (2004 - live version)
A2. Call up (2010)
A3. The rain comes (2000)
B1. Mars Attacks (1998)
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