Fiamma Dallo Spirito "Sabba" ou l'incroyable histoire d'une résurrection miraculeuse. En regardant la pochette mettant en scène un succube démoniaque, vous allez dire "encore un album de jeunes métalleux nostalgiques des messes noires et autres rituels sabbatiques bien gores qui fleurissaient un peu partout dans les années soixante dix". Pourtant, la vérité est que les vingt neuf minutes de cette galette ont été enregistrées, il y a bien longtemps, le 14 novembre 1975 à Milan, pour être exact. Les protagonistes sont bien connus de ceux qui ont suivi et aimé les pérégrinations sulfureuses d'Antonio Bartoccetti avec ses mythiques groupes, Jacula et Antonius Rex, puisque Fiamma dallo Spirito était la chanteuse et vocaliste sur le premier LP de Jacula, Tardo Pede in Magiam Versus (et non ce n'était pas Doris Norton!), et Federico Bergamini était également présent comme co-compositeur pour ce même album. Mais alors qu'est ce qui explique la soudaine émergence de cette musique sortant des limbes du néant ? La belle histoire commence à partir de maintenant. Pino Pintabona, l'une des deux têtes incontournables du label Black Widow Records, avec Massimo Gasperini, a eu l'occasion de rencontrer Fiamma à plusieurs reprises, car elle habite dans le même immeuble qu'un ami à lui, jusqu'au jour où elle lui a indiqué avoir en sa possession du matériel musical inédit (des bandes enregistrées mais aussi des partitions et des notes) datant de l'époque Jacula. Pino a alors découvert chez elle des enregistrements complets et quasiment finalisés représentant effectivement toutes les pièces d'un album qui n'avait jamais été mis en forme et publié. En reconstituant l'histoire, mais avec aussi toutes les précautions d'usage (les faits évoqués restent supposés et ne sont pas formellement établis) , il apparaît qu'il s'agissait de la contribution préparatoire de Federico Bergamini et de Fiamma pour ce qui devait être probablement le deuxième album de Jacula. Mais, entre temps Antonio Bartoccetti avait rencontré Doris Norton et une hypothétique suite de Jacula l'intéressait d'autant moins que, malgré son caractère aujourd'hui mythique, Tardo Pede in Magiam Versus n'avait jamais dépassé le stade des cent douze copies pressées, principalement distribuées pour la promo (radios et journaux spécialisés) et ne s'était donc absolument pas vendu. Antonio Bartoccetti avait alors mis en route un nouveau projet Antonius Rex, avec sa nouvelle muse Doris Norton, pour aboutir finalement à l'album Zora en 1977. Mais figurez-vous que l'histoire n'est pas tout à fait fini car, alors que Bartoccetti, est supposé ne pas s'être intéressé à l'époque aux bandes de Bergamini et de Fiamma, on retrouve sur Ralefun, l'album d'Antonius Rex de 1978, trois titres qui sont des versions adaptées des compositions du projet de Bergamini et Fiamma : "Magic sadness" pour "Profezia", "Agonia per un amore" pour..."Agonia" et enfin "Incubus" pour "Povero lui" avec pour cette dernière, une partition nettement plus retravaillée. J'ajoute enfin que Pino a également trouvé chez Fiamma, des bandes datant des sessions de Tardo Pede in Magiam Versus avec des versions alternatives de plusieurs morceaux dont deux concernent le titre "U.F.D.E.M.". Voilà qui pourrait annoncer d'autres surprises à venir chez BWR.
Ecce Sabba ! Les titres des morceaux sont très évocateurs d'une forme d'occultisme centré sur la condition humaine aux prises avec les affres d'un enfer dont l'Homme ne peut espérer s'échapper que par l'amour. Musicalement, c'est quand même beaucoup moins noir et gothique que Jacula mais çà reste très sombre avec ce sentiment permanent de désespoir latent. Chaque morceau débute par un texte déclamé, parfois psalmodié, par Fiamma Dallo Spirito. Sa voix est immédiatement identifiable : puissante et affirmée, avec des intonations dramatiques poignantes. A l'occasion, elle adopte même un chant plus lyrique en lamento, comme sur "Povero lui", qui vous prend aux tripes. Ceci étant, concernant "Povero lui", j'apprécie au moins autant la version instrumentale qui est beaucoup plus pure à mon avis. Le premier morceau du disque, l'altier "Initiatio Sagae", est un
rendez-vous incontournable avec cette plongée immédiate dans un univers
ésotérique parallèle, les interventions de l'orgue à tuyaux (orgue
d'église) y étant pour beaucoup. Il faut dire que les accompagnements et les arrangements, intégralement créés et pris en charge par Federico Bergamini, sont d'une grande finesse avec un travail intéressant sur les chœurs que l'on apprécie tout particulièrement sur la ballade désespérée "Dannazione" dont l'entame mystique prend la forme d'un chant religieux en chorale mixte. Mais c'est peut être sur "Sabba" que Bergamini donne le meilleur de
lui-même, avec cette pièce incroyable tirant sur l'avant-garde avec ses vocalises arty reprenant des codes du jazz. En fait, une fois que l'on connaît l'histoire, on comprend que Bergamini a pu ainsi s'affranchir des lourdeurs et du côté un peu trop pompier, parfois à la limite du kitch, de Bartoccetti pour se concentrer vraiment sur la musique. Il est évident que le magnifique et romantique "Agonia" n'aurait difficilement pu avoir ce niveau de raffinement sur un album de Jacula. Porté par des accords plaqués au clavecin, "Agonia" déroule sa mélodie sur un rythme ralenti à l’extrême, évoquant la plus majestueuse des danses baroques du XVIIème siècle, la pavane. Tout est sublime dans cette pièce dont la version démo, "E Dio creo l'amore" se trouve à la fin de l'album avec des paroles et un arrangement différents, beaucoup moins impressionnant. Mais au final, je ne vous cache pas que j'ai quand même un très gros faible pour "Sabba" qui, non seulement rappelle plusieurs compositions d'Ennio Morricone de la même période pour le cinéma, mais en a, en plus, le niveau et la qualité.
Dites-vous que l'écoute de cet album donne une impression d'irréel tant la voix de Fiamma Dallo Spirito semble directement venir de l'au-delà. Dites-vous aussi que cette musique a un vrai pouvoir magique. J'espère que vous y serez sensible comme moi. C'est tout le bien que je vous souhaite.
En fait, l'idée générale est que ce disque mort-né tenait drôlement bien la route dans son genre et que l’exhumation réalisée par Pino Pintabona est loin d'être un coup et n'a rien d'anecdotique. Le résultat pourrait être assimilé à une version dark de Floret Silva par Kay Hoffman. Fiamma Dallo Spirito et son enfant caché, Sabba, méritent de retrouver la place qu'ils auraient dû prendre aux côtés de Jacula et de Pierrot Lunaire.Car Sabba n'est ni plus ni moins que la pièce manquante de l'immense puzzle du rock progressif italien. Il s'agit donc d'un album indispensable pour tous les collectionneurs et vrais connaisseurs de la légende du prog italien.
Les musiciens : Fiamma Dallo Spirito (chant, chœurs), Federico Bergamini (piano, orgue, clavecin, moog, chœurs), Fiametta (chœurs) + Orchestre Bergamini (guitare 12 cordes, guitare électrique, basse, batterie, percussions).
La tracklist :
Le label est Black Widow Records
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