Avec Il Domenicano Bianco, nous voici donc face au sixième album studio du groupe Il Segno del Comando et pour une fois, je vais commencer cette chronique en m'arrêtant quelques instants sur l'aspect conceptuel de ce disque car la discographie d'Il Segno del Comando suit, depuis de années, l’œuvre de l'écrivain autrichien Gustav Meyrink, un des plus grands noms de la littérature fantastique européenne et il se trouve que c'est encore le cas avec cet album. Meyrink, on le connaît surtout pour La nuit de Walpurgis mais il a en fait écrit plusieurs livres qui ont pour thème commun ce qu'il a désigné sous le nom de conversion. Il s'agit en fait d'une vision évolutive de l'homme qui doit s'extraire de son personnage éduqué, formaté, préparé à jouer un rôle, si possible productif, dans la société, pour aller vers une renaissance personnelle devant permettre à chaque être humain de reprendre sa destinée et de devenir un être unique qui trouvera ainsi la symbiose avec le centre du monde. Le parcours exige la rupture, le renoncement des évidences intellectuelles, le détachement matériel mais aussi affectif, donc l’ascèse, pour enfin passer à l'acquisition de nouvelles connaissances Il y a une évidente quête de la perfection dans tout cela (flos forum) avec de fortes connotations ésotériques et mystiques. Les croyances et les doctrines, autant occidentales qu'orientales, sont toutes évoquées et sollicitées pour accompagner et permettre la transformation (la conversion) des personnages principaux des quatre livres. Mais, il y aussi en filigrane une forme de misanthropie qui ne dit pas on nom et une posture jusqu'au-boutiste, proche du fanatisme, qui peuvent interloquer. Puisque nous sommes sur le Dominicain Blanc, il suffit de savoir que le jeune héros, ou en l’occurrence l'impétrant, se retrouve à confesser tous ses péchés au religieux spectral, y compris ceux qu'il pourrait commettre dans le futur. Diego Banchero a commencé à utiliser les éléments littéraires de Gustav Meyrink dès le deuxième album de son groupe avec Der Golem (en 2002) qui correspondait à Le Golem puis avec Il volto verde en 2013 qui reprenait Le Visage vert. Avec Il Domenicano Bianco, Il Segno del Comando clôt ainsi une trilogie de sa propre lecture de l’œuvre de l'écrivain autrichien.
Dès "Il libro color cinabro", la couleur (c'est bien le cas de le dire) est affichée. Les grandes orgues imposent un décorum solennel. Nous sommes happé par un dark prog qui a toutefois le bon goût de ne pas en rajouter dans le lugubre (ce qui n'est pas toujours le cas des voisins de Malombra) et qui reste éloigné de toute théâtralité (a contrario de IANVA). Avec "La bianca strada" qui suit, les riffs de guitares tranchants, les notes de claviers sépulcrales et surtout la voix chaude et expressive de Riccardo Morello, se mettent au service d'une musique qui s'affiche invariablement sincère et généreuse. J'en veux pour preuve cette succession de chorus aux guitares électriques assurés avec maestria par Davide Bruzzi et Roberto Lucanato. Ce morceau est un des musts de l'album mais aussi de toute la discographie du groupe. Avec "Il Domenicano Bianco", le tempo s’accélère notablement. On comprend qu'il s'agit là de donner une dimension épique au personnage donc à la chanson. Et c'est parfaitement réussi. Le d'habitude discret Fernando Cherchi en profite pour se déchaîner sur sa batterie. Il impose ainsi un rythme infernal au morceau. Cette fois, ce sont nos duettistes aux guitares qui se trouvent en position de suiveurs. "Ofelia" décrit avec douceur l'arrivée dans l'histoire de la bien-aimée Ophélie. Pour en revenir un instant au côté littéraire, je me demande d'ailleurs si cette présence féminine ne représente pas finalement l'équivalent de la tentation dans l'esprit torturé de Meyrink. Certaines ambiances cryptiques, comme celles de "La testa di medusa" et de la piste enchaînée "Il dissolvimento del corpo con la spada" rappellent bien sûr Jacula et Antonius Rex mais depuis le temps qu'Il Segno del Comando est sur le pont (depuis plus de vingt cinq ans en fait), il faut avant tout se référer à ce qui est le style du groupe : une noirceur de ton qui se marie parfaitement avec des lignes mélodiques prenantes, une emphase qui supporte des envolées grandioses frôlant même parfois le lyrisme. L'anti Akron en quelque sorte !
Pour en revenir à "Il dissolvimento del corpo con la spada", voici un autre highlight de cet album, un morceau tendu à l'extrême qui ravira les amateurs de développements instrumentaux car là il y en a, avec de multiples rebondissements tant du côté guitares que claviers avec une section basse/batterie qui structure tout cela sans trembler. Il est important de souligner ici que Diego Banchero, auteur de tous les textes et de la musique à l'exception de "La testa di medusa" signé par Beppi Menozzi, mène son monde de main de maître, épaulé par un Davide Bruzzi qui se révèle de plus en plus indispensable et surtout efficace côté arrangements.
"Missa Nigra 2021" se veut plus posé mais est d'une densité étouffante et adopte surtout une stature hiératique qui fait de ce morceau une messe noire aux forts relents sataniques.
Je n'oublie pas la beauté de l'instrumental final, "Solitudine", qu'on aurait facilement imaginé joué au stick, qui semble vouloir transmettre un dernier message aussi ésotérique que mystérieux. L'absence de paroles laisse ainsi à chacun la place d'imaginer ce que représente pour lui la vraie solitude, "La solitude est propice aux révélations de l'esprit" (Jacques Chardonne).
Il y a des groupes comme çà dont la musique prend de l'ampleur disque après disque. Pour Il Segno del Comando, Il Domenicano Bianco se révèle incontestablement son album le plus abouti et le plus décisif. Peut-être est-ce dû au fait que le groupe a trouvé un équilibre interne parfait avec ses membres actuels, peut-être est-ce tout simplement dû à la maturité, mais en tout cas, tout est en place pour le meilleur et le meilleur c'est Il Domenicano Bianco !
La formidable prestation live qu'a proposée la formation génoise le 3
septembre 2023 au festival 2 Days Prog + 1 à Revislate n'a fait que
confirmer le positionnement d'Il Segno del Comando qui est apparu ce
soir là, à beaucoup de spectateurs présents, comme un groupe
incontournable du rock progressif italien actuel. Il était temps !
Le groupe : Diego Banchero (basse), Davide Bruzzi (guitares, claviers), Roberto Lucanato (guitares), Riccardo Morello (chant lead et chœurs), Beppi Menozzi (claviers), Fernando Cherchi (batterie)
La Tracklist :
- Il libro color cinabro
- La bianca strada (joué au 2 Days Prog + 1, le 03/09/2023)
- Il Domenicano Bianco (joué au 2 Days Prog + 1, le 03/09/2023)
- Ofelia
- La testa di medusa
- Il dissolvimento del corpo con la spada
- Missa Nigra 2021
- Solitudine
Label : Nadir
Distribution : Black Widow Records
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