Depuis le réveil de Celeste en 2016, Ciro Perrino enchaîne les sorties d'albums à un rythme soutenu, qu'on en juge : Il risveglio del principe en 2019, Il principe del regno perduto en 2020, Celeste with Celestial Symphony Orchestra en 2022 et à peine un an après, Echi di un futuro passato en 2024, cet Anima Animus. Il est vrai que Ciro est entouré d'une équipe solide de musiciens tous fidèles à leur poste depuis la renaissance du groupe, sur lesquels il peut compter. Il est également avéré que l'ami Ciro fait preuve d'une créativité prolifique. Pour preuve ce nouvel opus intitulé Anima Animus. Un titre qui fait évidemment référence à la théorie développée par Carl Gustav Jung notamment dans Types psychologiques. Il tente, dans ce livre, d'étudier la personnalité humaine (définitions et interactions) en se basant sur des identifications de fonctions psychiques, d'attitudes et de concepts sexués (anima et animus donc), la transposition la plus pertinente restant sûrement celle qui est relative à la Persona. Tout cela non pas pour étaler ma science mais bien pour éclairer le propos musical de Ciro Perrino qui, à l'évidence, a voulu exposer en un peu plus de 60 minutes de belle musique sa vision de la pensée jungienne. Comme l'affirmait justement Jung : "Il n’y a pas de création sans ombre et sans le côté obscur des choses".
Normalement à ce point de ma chronique, j'ai sûrement perdu quelques lecteurs. Alors, pour que tout le monde recolle au peloton, on va parler musique et uniquement musique ! Et croyez-moi, cet album le mérite. Le titre d'ouverture, "Anima animus", s'impose d'emblée comme une très belle composition progressive assimilable à un prélude relativement libre dans sa forme tout en étant rigoureux dans son contenu. Après ce premier morceau épatant, l'album prend une tournure un peu différente avec le très jazzy "Roots and leaves" propulsé par un irrésistible groove, hanté par un Mellotron et illuminé de longs chorus funky de flûte et de saxo. Cet incroyable titre semble tout naturellement ouvrir pour "Cosmic Carnival" qui, tout en gardant une forte tonalité jazzy, a été pensé sur une trame rythmique relativement complexe nécessitant l'intervention de nombreuses percussions. Il y a d'ailleurs bien un air de carnaval qui émane de ce morceau ou plus exactement une réminiscence de déambulation d'un orchestre de rue comme on en entend si souvent à la Nouvelle Orléans, impression encore renforcée par les ponctuations régulières de saxophones. A côté, "De Rerum Natura" se révèle beaucoup plus calme, à la frontière d'un romantisme naturaliste. Plusieurs instruments à vent personnifiant à tour de rôle des êtres vivants de la faune et de la flore. Ainsi va la nature des choses tentait d'expliquer Lucrèce en son temps. Le décors est ainsi prêt pour accueillir Ines Aliprandi dont les vocalises vont enchanter tour à tour "Lilith" puis "El Mundo Perdido", ce dernier morceau oscillant entre New Age, World music et résonances ethniques. Tout le monde se détend le temps du jazzy cool "Secret Crime" émaillé du malicieux chant en doo-wop d'Ines. Difficile de résister à l'envie de bouger en rythme sur cette très longue parenthèse décalée mais à la vibration régénérante.
On comprend facilement que Ciro ait gardé le morceau le plus symphonique et le plus majestueux pour la fin. "Moon and Cloud Dancing" est une très belle suite assimilable à de la prog pastorale gorgée de nombreux instruments à vent (bois et cuivre) mais aussi de piano et de guitare classique, remarquablement orchestrés. Il est bon de noter la très grande habileté de Ciro qui réussit à tenir l'intérêt pendant 12 minutes grâce à des enchaînements parfaitement naturels de performances instrumentales et vocales avec un prime un joli petit final d'accord de piano plaqué en sustain.
Pour ce cinquième épisode du Celeste du XXIème siècle, son démiurge, Ciro Perrino, démontre qu'il reste sur une trajectoire gagnante que l'on pourrait très simplement justifiée par l'inspiration, ce qui serait déjà bien et qui est d' ailleurs le cas. Mais je vois trois autres raisons qui font la différence :
- d'abord, une évidente qualité dans l'écriture musicale, autrement dit un vrai travail de compositeur.
- ensuite, une couleur différente d'un album à l'autre avec une volonté de ne pas reproduire les mêmes schémas et le même type de musique à chaque fois (vous pouvez me faire confiance, je viens de réécouter tous les CD à la chaîne).
- enfin, Ciro a été batteur avant d'élargir son spectre de musicien instrumentiste, notamment aux claviers, et cela se ressent. Le travail sur les percussions et plus généralement sur les parties rythmiques fait souvent la différence sans que l'auditeur s'en rende forcément compte.
Et ce n'est pas fini ! Car loin d'être à court de projets, Ciro Perrino prévoit déjà une performance pour la fin de l'année, "Celeste meets Celtic Harp", qui sera l'occasion de proposer une musique acoustique basée sur la harpe celtique de Claudia Murachelli accompagnée d'instruments divers comme des flûtes baroques, du luth de la Renaissance ou encore du oud. Puis en 2026, pour les 50 ans de la sortie de Principe di un giorno, le groupe actuel en fera une nouvelle interprétation avec cette fois les paroles en anglais comme cela était prévu à l'origine en 1976. Voilà qui augure encore de très beaux moments musicaux.
Le groupe : Ciro Perrino (Mellotron, Eminent, Solina, Oberheim, Minimoog, ARP 2600, EMS AKS, percussions), Enzo Cioffi (batterie), Francesco Bertone (basse), Marco Moro (flûtes), Mauro Vero (guitares).
Autres intervenants : Ines Aliprandi (chant), Marco Canepa (piano), Mirco Rebaudo (saxophones, clarinette), Paolo Maffi (saxophones), Enrico Allavena (trombone, tuba), Davide Mocini (guitare 12 cordes sur 3 et 6), Marco Fadda (percussions).
La tracklist :
1. Anima Animus
2. Roots and Leaves
3. Cosmic Carnival
4. De Rerum Natura
5. Lilith
6. El Mundo Perdido
7. Secret Crime
8. Moon and Cloud Dancing
Label: Inner Garden Records